L'emplacement actuel est

La crise de la COVID-19 a mis en évidence l'importance de l'« appropriation » en période d'instabilité : Q&R avec MASUDA Junko

2 juin 2022

Photo

MASUDA Junko, directrice générale du département Afrique de la JICA

La pandémie de COVID-19 a eu de vastes répercussions dans le monde entier, affectant sévèrement les infrastructures économiques et sociales, et causant la perte de nombreuses vies humaines. Les pays en développement, notamment en Afrique, ont été particulièrement vulnérables à ces perturbations, c'est pourquoi il est vital de garantir leur stabilité face aux chocs futurs.

La JICA (Agence japonaise de coopération internationale) collabore avec l'Afrique depuis le début de la pandémie afin d'atténuer ses répercussions socio-économiques et de construire un continent résilient face aux chocs futurs. L'une des principales caractéristiques de la coopération de la JICA avec l'Afrique consiste à placer l'appropriation africaine au cœur des projets de développement. L'« appropriation africaine » est l'un des deux principes clés de la TICAD (conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique), dont la prochaine édition, la TICAD 8, se tiendra cette année.

Photo

La JICA a fourni au centre de ressources pour l'éducation inclusive Eduardo Mondlane des produits pour la prévention des infections.

Afin de mieux comprendre le concept d'appropriation, nous nous sommes entretenus avec Mme MASUDA Junko, directrice générale du département Afrique de la JICA.

Q: Tout d'abord, pourriez-vous nous expliquer quels sont les principes de base de la JICA ?

La philosophie de la JICA peut être définie par le terme sécurité humaine.
Nous voulons donner aux personnes les moyens de faire face aux chocs externes et de construire des sociétés résilientes.

Bien que nous puissions proposer des plans d'action, il revient aux populations de chaque pays de décider de leur propre avenir. À cette fin, nous adoptons une approche axée sur les personnes. Il est primordial d'établir des relations de confiance et de respect. Nous pouvons utiliser notre expérience, mais nous ne pouvons pas simplement exporter en Afrique ce qui fonctionne au Japon. Le savoir-faire doit être adapté aux contextes locaux.

Q: En quoi le travail de la JICA est-il centré sur les personnes ? Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Le soutien à l'éducation est essentiel, particulièrement en Afrique. Notre projet École pour tous englobe environ 70 000 écoles réparties sur neuf pays africains, permettant ainsi aux communautés d'œuvrer à l'amélioration de l'environnement éducatif de leurs enfants. Les communautés élisent leurs propres représentants de manière démocratique et transparente, et coopèrent avec le ministre de l'Éducation de leurs pays respectifs.

Photo

Des enfants apprennent les additions avec retenues à l'aide de bâtons dans une classe de
rattrapage du projet École pour tous (Madagascar)

La JICA offre aux jeunes Africains de nombreuses opportunités pour suivre une éducation supérieure et une formation au Japon. L'initiative pour l'éducation commerciale des jeunes Africains (ABE pour African Business Education), par exemple, leur permet d'avoir accès à des programmes de master au Japon ainsi qu'à des stages dans des entreprises japonaises, tout en aidant ces dernières à établir des liens précieux avec l'Afrique pour l'avenir.

L'approche axée sur les personnes s'applique également au développement industriel.
La JICA encourage les Africains à adopter la méthode KAIZEN (*) qui consiste à rechercher une amélioration continue de la qualité et de la productivité. En 2017, la JICA a lancé l'initiative KAIZEN en Afrique sur l'ensemble du continent, en collaboration avec l'AUDA-NEPAD, l'Agence de développement de l'Union africaine. Entre 2019 et 2021, près de 80 000 Africains ont eu la possibilité d'apprendre cette méthode.

(*) KAIZEN est un terme japonais qui signifie « amélioration ». La méthode KAIZEN consiste en une philosophie et un savoir-faire en matière de gestion ayant pour but d'engendrer une amélioration continue de la qualité et de la productivité.

Q: Le concept d'« appropriation » revêt une importance cruciale pour la JICA. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

L'appropriation, c'est tracer son propre chemin et en assumer la responsabilité. Inviter des acteurs extérieurs pour effectuer un travail de développement, puis les faire rentrer chez eux après avoir achevé leurs missions, ne renforcera pas directement les capacités des populations sur place.

Pour générer un changement, les individus doivent réfléchir à la manière de mettre en œuvre ce changement en fonction de leurs propres conditions locales. Le processus n'est pas facile et requiert beaucoup de temps et de compréhension afin de développer l'appropriation dans une perspective d'égalité. C'est un processus d'apprentissage continu nécessitant de nombreux essais et erreurs, et nous devons toujours veiller à ce que notre coopération ne se transforme pas en une relation verticale de patronage.

Photo

La JICA a collaboré avec le Rwanda pour former des agriculteurs à « relever les défis par
eux-mêmes » et réaliser ainsi une agriculture plus rentable.

À cet effet, la JICA encourage ses partenaires locaux à travailler de manière autonome afin qu'ils deviennent indépendants au bout de cinq ans.

Q: En quoi la pandémie a-t-elle affecté les activités de la JICA en Afrique ?

La pandémie nous a permis de constater que l'appropriation était directement liée au développement des compétences. Étant donné que la plupart de nos experts ont été dans l'obligation de rentrer au Japon, nous avons perdu l'accès aux spécialistes en coopération pour les soins de santé, un domaine dans lequel les besoins sont très importants.

Malgré cette situation difficile, des organismes tels que l'Institut Noguchi pour la recherche médicale au Ghana et l'Institut de recherche médicale du Kenya (KEMRI pour Kenya Medical Research Institute) ont rempli leurs missions en répondant aux besoins des citoyens. Ils ont pris en main la lutte contre les infections, aussi bien dans leurs pays respectifs que dans les pays voisins. L'absence de spécialistes de la JICA a permis à nos partenaires de s'approprier ces fonctions et de prouver ce dont ils étaient capables.

Photo

Bien que la formation agricole en présentiel ne soit pas possible à cause de la pandémie de COVID-19, un programme de formation en ligne a été organisé (à gauche : un expert japonais fournit des explications sur un tableau ; à droite : un participant zambien montre une houe).

La technologie a également ouvert la porte à de nouvelles possibilités. YouTube et Zoom nous ont permis de réaliser des formations à la riziculture à distance. Grâce à WhatsApp, des experts locaux ont pu nous communiquer des informations sur l'évolution des cultures de riz. Nous étions en mesure de maintenir la communication et le renforcement des capacités, même en étant éloignés les uns des autres.

Q: Selon vous, quels sont les facteurs clés du renforcement de la résilience des sociétés africaines ?

La pandémie et la crise en Ukraine sont des bouleversements externes considérables qui ont mis en évidence la vulnérabilité de l'Afrique, mais aussi sa résilience. Pour faire face à de tels défis, l'appropriation – c'est-à-dire la capacité de résoudre les problèmes et d'améliorer sa productivité de manière autonome – s'avère cruciale. Plus particulièrement, je veux que nous continuions à nous concentrer sur une coopération mettant à profit la force des jeunes.

En 2050, la population africaine constituera un quart de la population mondiale et les jeunes représenteront 60 % des populations du continent. Entre-temps, d'ici vingt ans, la population urbaine mondiale aura doublé pour atteindre environ un milliard de personnes.
Pour que les jeunes puissent continuer à contribuer à leur société, l'éducation et des emplois utiles sont des éléments essentiels au progrès social et à la réduction de la pauvreté. C'est pourquoi l'approche adoptée par École pour tous, telle que mentionnée précédemment, a un rôle à jouer en apportant une assistance adéquate aux services éducatifs et sociaux grâce à la force des communautés venant compléter les efforts de leurs gouvernements.

Parallèlement, nous soutenons également l'entrepreneuriat et l'intégration économique régionale. L'Afrique intensifie ses efforts en vue de la création d'une zone de libre-échange à l'échelle du continent, la ZLECAf, qui devrait faire de l'Afrique un marché unique. Afin de rendre la ZLECAf opérationnelle, il faut mener une coopération pour optimiser la connectivité et la facilitation du commerce ainsi que pour améliorer la productivité dans l'industrie manufacturière et les autres secteurs.

Enfin, nous devons lutter contre le réchauffement climatique, élaborer des plans de développement et renforcer les capacités dans les régions exposées à la sécheresse et aux inondations. Il faut en outre soutenir la transition vers des énergies renouvelables à un rythme adapté à chaque pays. La sécurité alimentaire et la production agricole durable sont également des secteurs clés.

Q: Pourquoi la TICAD 8 est-elle si importante aujourd'hui plus que jamais ?

La pandémie et la crise en Ukraine nous montrent l'importance de la résilience. En organisant la TICAD 8 en cette période de crise, nous réaffirmons qu'il est crucial de mettre en place des gouvernements démocratiques et dignes de confiance. C'est là que l'expérience du Japon en matière de développement des ressources humaines, d'appropriation et d'approche démocratique du développement peut être mise à profit. C'est le moment idéal pour adopter une nouvelle approche et intégrer de manière flexible des méthodes innovantes provenant d'acteurs non gouvernementaux, qui n'ont jusqu'alors pas été directement impliqués dans la coopération au développement, afin de promouvoir la transformation numérique et de résoudre les problèmes sociaux.

Photo