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Nouvelles du terrain

13 octobre 2022

Crise alimentaire en Afrique de l'Ouest : Nos perspectives en matière d'assistance et de coopération - Tsumura Yasuhiro, directeur national du PAM en Gambie et Amameishi Shinjiro, directeur général adjoint, département du développement économique, JICA


Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde augmente rapidement en raison de problèmes majeurs, notamment les chocs climatiques, la pandémie de Covid-19 et l'invasion russe en Ukraine. L'Afrique de l'Ouest est confrontée à certains des pires de ces problèmes. Tsumura Yasuhiro, directeur national du PAM des Nations unies en Gambie, participe à des activités d'assistance alimentaire en Afrique depuis de nombreuses années, et Amameishi Shinjiro, directeur général adjoint de la division du développement économique, est chargé de l'agriculture et du développement rural en Afrique à la JICA. Nous les avons interrogés sur l'état actuel de la crise alimentaire en Afrique de l'Ouest, les différents facteurs qui la sous-tendent et ce qui peut être fait pour résoudre le problème.

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Le nombre de personnes souffrant de la faim augmente au rythme le plus rapide jamais enregistré

-- Le monde est confronté à une grave crise alimentaire suite à la propagation de la Covid-19 et à l'invasion russe de l'Ukraine, avec un nombre croissant de personnes souffrant de la faim. Comment décririez-vous la situation actuelle ?

Tsumura Yasuhiro :
L'insécurité alimentaire aiguë est définie comme une situation qui nécessite une assistance immédiate car elle représente un danger imminent pour la vie et les moyens de subsistance des personnes touchées. Selon le PAM, l'insécurité alimentaire aiguë toucherait 345 millions de personnes dans 82 pays en 2022. Cela représente une augmentation d'environ 200 millions d'individus par rapport à 2019, avant la propagation de la Covid-19, et c'est le pire taux jamais enregistré. Les raisons sont doubles. Premièrement, la chaîne d'approvisionnement a été gravement touchée par la fermeture des frontières et les restrictions de mouvement pendant la pandémie. Puis, juste au moment où nous avions l'impression que la Covid-19 se calmait enfin, la crise Russie-Ukraine a commencé. La situation de l'approvisionnement alimentaire a continué à se détériorer, et nous craignons que cette crise alimentaire mondiale ne persiste pendant un certain temps.

PhotoTsumura Yasuhiro, directeur national du Programme alimentaire mondial des Nations unies en Gambie. Il a rejoint le PAM en 1998 après avoir travaillé pour une entreprise privée et une organisation à but non lucratif au Japon. Depuis lors, il a servi le PAM en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Italie, au Japon, au Kénya, au Kosovo, en Mauritanie, au Sénégal, en Sierra Leone et en Gambie, où il a occupé diverses fonctions allant des activités d'assistance alimentaire sur le terrain, de la coordination des politiques et des services d'alimentation scolaire au siège de Rome, à la liaison avec le gouvernement au bureau du Japon. Étant actuellement en Gambie, il a participé à cette interview en ligne depuis ce pays.


PhotoDonnées du PAM


Amameishi Shinjiro :
Nous prenons également cette situation critique très au sérieux. La JICA travaille depuis de nombreuses années au développement durable des pays en développement dans des domaines tels que l'éradication de la faim, le développement de l'agriculture et l'amélioration de la nutrition. Le pourcentage de personnes sous-alimentées avait progressivement diminué depuis l'an 2000 environ. Malheureusement, leur nombre est reparti à la hausse vers 2014, notamment en Afrique, en raison de conditions économiques difficiles, de phénomènes météorologiques extrêmes et de l'instabilité politique. La propagation de la Covid-19 a été un autre coup dur. Puis, comme l'a noté le PAM, le conflit a contribué aux pénuries alimentaires de l'année dernière. Nous reconnaissons que l'Afrique est dans une situation critique, confrontée à des crises multiples.

PhotoAmameishi Shinjiro, directeur général adjoint du département du développement économique (groupe 2 du développement agricole et rural) de la JICA, a rejoint l'organisation en 1994. Il a auparavant occupé le poste d'expert du Laos et puis il a été affecté au Bureau régional de la FAO pour l'Asie et le Pacifique (jeune professionnel) et au bureau de la JICA en Tanzanie. Il a travaillé au bureau de la JICA au Kénya de 2016 à 2020, où il était notamment en charge des projets liés à l'agriculture. Il s'occupe désormais du développement agricole, principalement en Afrique et dans la région Maghreb-Moyen-Orient-Europe.


-- Quelle est la situation actuelle en Afrique de l'Ouest, qui souffre d'une grave crise alimentaire, et quels sont les facteurs qui l'ont provoquée?

Tsumura Yasuhiro :
En Afrique de l'Ouest, les changements climatiques se traduisent de plus en plus par des phénomènes météorologiques imprévisibles, occasionnant des sécheresses et des inondations fréquentes, et rendent difficile une production et un approvisionnement alimentaires suffisants. Étant donné que de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest souffrent d'une pauvreté chronique et d'une faible gouvernance, une augmentation des prix des denrées alimentaires pourrait rapidement entraîner des manifestations et des troubles politiques. En fait, des tentatives de coups d'État militaires, dont certains ont réussi, ont eu lieu dans plusieurs pays. Lorsque les ressources naturelles, telles que l'eau et les pâturages disponibles, se raréfient en raison des phénomènes météorologiques imprévisibles dus aux changements climatiques, des conflits sont susceptibles d'éclater pour ces ressources limitées, obligeant les habitants à quitter leur village. D'autres troubles risquent alors d'apparaître car cette migration constitue un facteur supplémentaire de déstabilisation. Divers problèmes, tels que les phénomènes météorologiques imprévisibles, les économies chancelantes, les politiques instables et les conflits, sont tous liés, et tous jouent un rôle dans la crise alimentaire. La Gambie connaît actuellement les plus fortes précipitations de ces 35 dernières années, provoquant des inondations dans de nombreuses régions, et une aide alimentaire d'urgence est fournie aux sinistrés.

L'Afrique de l'Ouest dépend des importations de Russie et d'Ukraine pour une grande partie de ses engrais utilisés dans la production agricole. Cette année, 40 % de la quantité d'engrais nécessaire n'a pas encore été livrée, ce qui risque d'entraîner une baisse significative des rendements lors de la prochaine récolte.

PhotoMauritanie, Afrique de l'Ouest. M. Tsumura se tient à côté des dépouilles de bétail mort à cause de la sécheresse.


PhotoM. Tsumura (au centre) a discuté avec des représentants du gouvernement gambien de l'aide alimentaire d'urgence comme filet de sécurité pour les plus vulnérables pendant la pandémie de Covid-19.


PhotoAlors qu'il était en poste au Kénya, M. Amameishi (au centre arrière) a inspecté un puits installé dans une zone aride du comté de Turkana, dans le nord du Kénya.

Amameishi Shinjiro :
Je pense que c'est précisément la vulnérabilité de l'Afrique aux événements imprévus qui est à l'origine de cette grave crise alimentaire. Durant mon séjour de trois ans et demi au Kénya, le pays était confronté à des phénomènes météorologiques annuels extrêmes tels que des sécheresses et des pluies abondantes, mais les mesures prises à l'époque pour contrer ces problèmes étaient insuffisantes. La question sera de savoir si les pays africains pourront développer la capacité de faire face à de tels événements.


Des efforts à moyen et long terme pour améliorer la réponse aux chocs sont essentiels.

-- Quelles sont les initiatives nécessaires pour faire face à la crise alimentaire sans précédent qui sévit en Afrique de l'Ouest, alors que divers facteurs sont liés ?

Tsumura Yasuhiro :
Je travaille pour le PAM depuis 14 ans en Afrique. J'ai participé à des activités d'assistance alimentaire dans les pays d'Afrique occidentale que sont le Sénégal, la Mauritanie, la Sierra Leone et la Gambie. Le PAM fournit une aide d'urgence aux victimes de conflits et de catastrophes naturelles par le biais de programmes tels que la distribution de nourriture ainsi que le transfert d'argent liquide pour acheter de la nourriture. Dans le même temps, nous nous efforçons de promouvoir l'autonomie, en soutenant la construction de communautés et de nations fortes et résilientes, dotées d'une capacité accrue à répondre aux catastrophes et autres chocs imprévus. De nombreux pays d'Afrique de l'Ouest sont particulièrement vulnérables à ces catastrophes et chocs inattendus, et l'aide au développement à moyen et long terme est essentielle.

En Gambie, le PAM soutient actuellement une initiative d'alimentation scolaire «maison» (Home-Grown) visant à mettre en place des repas scolaires préparés à partir de produits alimentaires achetés auprès de petits exploitants locaux. L'objectif est d'améliorer la nutrition des enfants et de briser le cercle vicieux de la pauvreté en créant des communautés autonomes. En Sierra Leone, nous avons également travaillé avec la JICA pour promouvoir la diffusion de la technologie de la riziculture et de l'irrigation.

PhotoDes enfants prennent leur repas de midi dans une école primaire en Gambie.


Amameishi Shinjiro :
En Afrique, la JICA promeut l'approche SHEP (Smallholder Horticulture Empowerment ou promotion et autonomisation des petits exploitants horticoles), destinée à rendre l'agriculture «rentable» pour les producteurs, et l'initiative CARD (Coalition for African Rice Development ou Coalition pour le développement de la riziculture en Afrique), qui vise à soutenir les efforts des pays africains pour accroître la production de riz. Dans une perspective à long terme dans le secteur agricole, nous travaillons au développement des compétences des agriculteurs afin d'accroître leur capacité à faire face aux périodes difficiles. Le PAM est impliqué dans l'aide au développement ainsi que dans l'aide humanitaire d'urgence, et j'espère que nous pourrons tirer parti de nos forces respectives pour accroître la résilience des pays vulnérables.

PhotoLes agriculteurs kényans cultivent des légumes commercialisables, en appliquant l'approche de la JICA pour la promotion et l'autonomisation des petits exploitants horticoles (SHEP pour Smallholder Horticulture Empowerment & Promotion).


Tsumura Yasuhiro :
Avec la complexité croissante de la question de la crise alimentaire, il est important de travailler avec diverses organisations dans un souci de complémentarité de nos efforts respectifs. Dans les écoles, un certain nombre de mesures sont en cours pour coordonner la promotion d'initiatives liées à la santé, à la nutrition et à l'éducation, telles que l'alimentation scolaire «maison». Nous avons à cœur de renforcer notre collaboration avec d'autres institutions.

Transformer l'agriculture africaine en activité attractive

-- Quel type de soutien est nécessaire pour se préparer à d'éventuelles crises alimentaires futures ?

Tsumura Yasuhiro :
Nous devons adopter une approche globale de la sécurité alimentaire. Il est nécessaire de considérer toutes les étapes de la production, de la récolte, de la transformation, de la distribution, de la vente et de la consommation comme un «système alimentaire». Et nous devons associer tous les acteurs publics et privés concernés aux efforts de soutien. Nous devrions également envisager la mise en place d'un dispositif de réserve alimentaire.

En Afrique de l'Ouest, notamment en Gambie, les jeunes continuent de migrer des zones rurales vers les zones urbaines car l'agriculture n'est pas une option rentable pour eux. Si l'agriculture était une activité attractive et capable de créer de la richesse, davantage de personnes voudraient s'y consacrer. Nous souhaitons développer des projets qui ne se contentent pas d'aider les gens à survivre mais qui conduisent à la création d'une «activité économique» au sein des systèmes alimentaires. Je pense que les approches conventionnelles pour éradiquer la pauvreté ont atteint leurs limites. Nous souhaitons également établir des partenariats avec le secteur privé.

Amameishi Shinjiro :
Il est essentiel de renforcer le secteur agro-alimentaire à tous les niveaux, du national à l'individuel. En 2003, l'Union africaine (UA) a déclaré qu'au moins 10 % des ressources budgétaires nationales seraient consacrées à l'agriculture et au développement rural. Toutefois, cet objectif n'a pas été atteint dans de nombreux pays en raison des multiples problèmes de développement. La sécurité alimentaire est nécessaire pour que les êtres humains puissent vivre dans la dignité. Nous pensons que les pays africains et les agences d'aide au développement devraient tirer une leçon de cette crise alimentaire et réexaminer le secteur agricole. Il est également primordial de renforcer les initiatives sur le terrain pour les petits agriculteurs et autres.

Reconnaître que les contraintes imposées à des pays démunis constituent un problème.

-- Les prix des denrées alimentaires augmentent dans le monde entier, de sorte que la crise alimentaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et l'invasion de l'Ukraine est également une préoccupation pour les pays développés. Est-il indispensable que chacun reconnaisse que la crise alimentaire mondiale est un phénomène qui nous concerne tous ?

Amameishi Shinjiro :
Pourquoi des crises alimentaires surviennent-elles dans certaines régions alors que le niveau de production alimentaire dans l'ensemble du monde continue d'augmenter ? En effet, les pays puissants et capables de réagir à des événements inattendus sont en mesure de garantir l'approvisionnement alimentaire lorsque de tels événements se produisent, tandis que les pays moins puissants et plus vulnérables n'y parviennent pas. Un nombre croissant de pays et de personnes sont actuellement menacés par un accès limité à la nourriture. Aujourd'hui, alors que la crise alimentaire fait l'objet de tant d'attention, il est important de nous sensibiliser à la réalité de ces questions.

Tsumura Yasuhiro :
Je pense que chacun a ressenti personnellement les effets de la pandémie de Covid-19 et de la crise Russie-Ukraine. Tous les habitants de la planète sont confrontés aux mêmes problèmes et nous sommes tous interdépendants les uns des autres. Ce serait formidable si nous pouvions reconnaître et comprendre cette réalité, et si cela pouvait pousser chacun d'entre nous à agir. Nous ne respecterons peut-être pas entièrement l'échéance de 2030 pour atteindre l'ODD 2 «Faim zéro», mais nous aimerions nous en rapprocher le plus possible. Nous continuerons à partager les informations en provenance du terrain en Afrique de l'Ouest.

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