l'Agence Japonaise de Coopération Internationale

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Nouvelles du terrain

13 mars 2023

Comment le système éducatif japonais fait la différence en Égypte


Entretien avec l'ambassadrice Fayza Aboulnaga, conseillère à la sécurité nationale auprès du président égyptien, présidente du conseil d'administration de l'E-JUST et coordinatrice de l'EJEP

En février 2016, le Japon et l'Égypte ont conclu un partenariat éducatif baptisé «EJEP» pour «Egypt-Japan Education Partnership». Le concept de ce partenariat consiste à collaborer à l'introduction de diverses composantes du programme éducatif japonais dans le système scolaire égyptien afin de renforcer les capacités de la jeunesse du pays. L'EJEP est unique en ce sens qu'il couvre les divers niveaux de l'enseignement en Égypte, depuis la petite enfance à l'éducation de base, technique et supérieure. Actuellement, deux projets majeurs sont en cours dans le cadre de ce partenariat global : l'introduction du tokkatsu [un terme japonais formé à partir de tokubetsu katsudo, ou activités extrascolaires] à l'école Égypte-Japon (EJS), et la création et le renforcement de l'Université Égypte-Japon des sciences et de la technologie (E-JUST).

Aujourd'hui, en Égypte, environ 20 000 élèves de l'enseignement préscolaire et de base et 3 500 étudiants du supérieur reçoivent une éducation inspirée du style japonais. Imoto Sachiko, vice-présidente senior de la JICA, a eu l'occasion de discuter de ces initiatives avec Fayza Aboulnaga, conseillère en matière de sécurité nationale auprès du président égyptien El-Sisi, présidente du conseil d'administration de l'E-JUST et coordinatrice de l'EJEP.

PhotoFayza Aboulnaga (à droite) est conseillère en matière de sécurité nationale auprès du président égyptien El-Sisi, présidente du conseil d'administration de l'E-JUST et coordinatrice de l'EJEP. Imoto Sachiko (à gauche) est vice-présidente senior de la JICA et possède une expérience de près de trente ans dans le domaine de la coopération internationale.


Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez voulu introduire des activités éducatives de style japonais en Égypte ? Quels étaient les problèmes de l'éducation égyptienne que vous vouliez résoudre ?

• Mme Fayza Aboulnaga :
Cette idée a vu le jour en 2002, lors de ma visite au Japon en tant que ministre d'État aux Affaires étrangères. Dans la rue et partout ailleurs, le comportement des gens et des enfants a attiré mon attention. J'ai vu des petits enfants de quatre ou cinq ans se rendre seuls à l'école et des gens respecter strictement les feux de circulation pour laisser les enfants traverser la rue. En Égypte, les enfants de cet âge sont toujours accompagnés de leurs parents. J'en ai conclu qu'il existait au Japon une certaine uniformisation des comportements, partagée par tous, et que le secret de cette particularité résidait dans le système éducatif, qui produit des êtres humains de valeur au sein de la société japonaise. Ma visite suivante au Japon était en compagnie de mon mari, qui était alors ambassadeur d'Égypte au Japon. C'est ainsi que je lui ai expliqué que je souhaitais découvrir le système éducatif japonais dans son ensemble, de la petite enfance à l'enseignement supérieur, en passant par les établissements de formation technique et professionnelle, afin de me rendre compte du modèle d'éducation qui engendre un tel comportement.

J'ai passé beaucoup de temps dans les salles de classe, en particulier celles qui accueillent des enfants en bas âge et à l'école primaire, qui est l'étape la plus importante. J'ai observé la manière dont les enseignants qualifiés interagissaient avec les enfants, leur façon de mélanger les garçons et les filles, d'enseigner aux enfants le respect d'autrui et de développer l'esprit critique. J'ai vu des enfants, des enseignants et des directeurs d'école nettoyer leur salle de classe, une particularité japonaise tout à fait unique. J'ai remarqué les grandes baies vitrées des salles de classe qui permettent aux enfants de voir le monde extérieur sans aucune entrave. J'ai regardé des enfants apprendre à faire du sport, donner des représentations musicales, se laver les mains après un repas chaud collectif et se soucier de leur propre hygiène.

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• Mme Imoto Sachiko :
Vous avez très justement saisi les caractéristiques essentielles de l'éducation japonaise. Il est certes très important que les étudiants acquièrent des connaissances de base, mais la finalité de l'éducation est aussi d'apprendre à être responsable et à contribuer à la société. Afin de développer ce sens des responsabilités, nous avons besoin non seulement de connaissances de base, mais aussi d'un corps et d'un esprit sains. Grâce à des activités scolaires telles que celles que vous avez mentionnées, l'école fonctionne comme une sorte de société miniature, dans laquelle les enfants apprennent comment ils peuvent contribuer et s'occuper les uns des autres. Le concept d'éducation au Japon est ainsi fait.

Qu'est-ce qui a conduit à la création de l'EJEP ?

• Mme Aboulnaga :
Le président El-Sisi m'a fait l'honneur de me nommer conseillère pour la sécurité nationale en 2014. Lors de l'une de nos rencontres avant sa visite au Japon en 2016, j'ai fait part au président des impressions que j'avais recueillies au cours de mes différents séjours au Japon. Le président, qui place l'éducation au premier rang de ses priorités, a déclaré qu'il souhaitait se rendre dans une école japonaise lors de sa prochaine visite à Tokyo. Il était prévu qu'il passe une heure dans une école japonaise. En réalité, il est resté presque trois heures sur place et s'est intéressé de très près à chaque étape de cette visite. Mes collègues japonais m'ont dit que c'était la première fois qu'un chef d'État visitait une école japonaise. Ce fut à cette occasion que le président Sisi et le défunt premier ministre Shinzo Abe ont convenu de la création de l'EJEP et l'ont annoncée.

• Mme Imoto :
Vous avez évoqué les activités de nettoyage, que le président a certainement observées. Lorsque nous sommes à l'école, il est de notre responsabilité de nettoyer les salles où nous passons du temps, par respect pour les autres personnes qui les utilisent. Nous servons le déjeuner à tour de rôle afin que nous apprenions à nous rendre utiles aux autres personnes de la communauté. Dans tous les aspects de ces tokkatsu (activités extrascolaires), les enfants sont encouragés à prendre soin d'eux-mêmes, à écouter les autres, à discuter des problèmes et à développer leurs propres opinions en tant que membres de la communauté.

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• Mme Aboulnaga :
J'ai été élevée dans une école de ma ville natale, Port-Saïd, avec un système et des principes similaires, mais la situation a radicalement changé. Le niveau d'éducation a été affecté par l'augmentation de la population, qui s'est traduite par des classes surchargées et le manque de formation adéquate des enseignants. Après la signature du partenariat sur l'EJEP, il nous fallait mieux comprendre le concept de tokkatsu. Je me suis donc rendue une nouvelle fois au Japon avec le ministre de l'Éducation de l'époque et une délégation de responsables ministériels. Un membre de cette délégation est aujourd'hui ministre. Nous avons organisé une réunion préparatoire pour clarifier la notion de tokkatsu et exposer les raisons pour lesquelles l'Égypte s'intéressait à ce concept et à ce système. Le président Sisi a accepté de créer 100 nouvelles écoles Égypte-Japon (EJS), avec des spécifications et des normes de construction japonaises basées sur le concept de tokkatsu, en plus de réhabiliter 100 établissements scolaires existants selon les mêmes principes, qui introduiront et appliqueront tous les activités tokkatsu avec l'aide d'experts japonais. À cet égard, il convient de préciser que le président El-Sisi a tenu à rencontrer ces experts à deux reprises afin de s'assurer que toutes les conditions nécessaires à la réussite de ce projet sont réunies. Aujourd'hui, les deux types d'écoles sont un succès. Si vous comparez les élèves des écoles qui pratiquent le tokkatsu à ceux des établissements qui ne l'ont pas adopté, vous constaterez une nette différence de comportement. Aujourd'hui, le nombre d'EJS et d'écoles existantes rénovées croît dans tout le pays, des grandes villes aux petits villages, couvrant les couches défavorisées, modestes et intermédiaires.

• Mme Imoto :
Il est évident que la mise en place d'un nouveau système d'éducation dans les pays étrangers est toujours un défi. Nous sommes donc heureux du succès de l'introduction du concept de tokkatsu et d'autres composantes du système éducatif japonais. Lorsque j'ai visité une EJS lors d'un voyage en Égypte, j'ai été impressionnée par les discussions animées en classe et la présence en ligne des parents. Il était fascinant de voir comment les Égyptiens étaient parvenus à adapter le système au contenu éducatif de leur pays en échangeant des idées avec des experts japonais.

• Mme Aboulnaga :
Les parents de l'EJS des quartiers populaires et des petits villages étaient heureux de voir que leurs enfants nettoyaient leurs propres écoles, mais ceux issus de la couche sociale intermédiaire l'ont moins bien accepté au début. Certains d'entre eux se sont plaints, affirmant qu'ils n'envoyaient pas leurs enfants à l'école pour faire le ménage. Nous avons présenté le concept lors de réunions avec les parents, et non seulement ils se sont montrés très réceptifs au nouveau système, mais ils l'ont également approuvé. Nous avons d'ailleurs entendu des témoignages sur le changement de comportement des enfants : certains élèves ont proposé d'aider leur mère à faire le ménage, et il est arrivé que d'autres cèdent leur place dans le bus à des personnes âgées. Ce système d'éducation favorise une telle évolution. Si nous voulons avoir une nation prospère et une société productive et progressiste, nous devons éduquer les gens correctement. L'éducation est la clé du développement durable dans tous les pays.

PhotoDes enfants nettoyant leur propre salle de classe dans une école Égypte-Japon (EJS) illustrent l'une des nombreuses activités prévues dans le concept de tokkatsu adopté par le système éducatif égyptien


L'E-JUST, l'Université Égypte-Japon des sciences et de la technologie, est un projet très ambitieux visant à créer une université ex nihilo. Comment s'est déroulée sa création ? Quels sont les facteurs qui ont contribué au succès de l'E-JUST?

• Mme Aboulnaga :
J'ai proposé l'idée de créer l'E-JUST, le Centre d'excellence égypto-japonais pour les sciences et la technologie en Égypte, une institution qui servirait également le monde arabe et le continent africain. En 2002, lors d'une visite officielle à Tokyo, j'ai sollicité le premier ministre Koizumi, en ma qualité de ministre d'État aux Affaires étrangères, afin qu'il donne le feu vert aux autorités japonaises compétentes pour étudier cette proposition. Après environ un an et demi d'études préliminaires, les deux parties ont entamé les négociations nécessaires. Il a fallu environ six ans pour finaliser l'accord signé en 2009 pour créer l'E-JUST. Au début, nos amis japonais étaient réticents, car pour eux, il s'agissait d'une première expérience à l'étranger et ils ne voulaient pas prendre le risque d'un échec, ce qui est compréhensible. Ce fut donc une personnalité d'exception, Mme Sadako Ogata, présidente de la JICA à l'époque [Mme Ogata a également été haut-commissaire du HCR de 1991 à 2000], qui a réussi à débloquer la situation lorsqu'elle s'est rendue en Égypte en 2006 et rencontra le premier ministre. Elle a saisi d'emblée l'intérêt du Japon pour ce projet et réalisé l'importance de la création de l'Université Égypte-Japon des sciences et de la technologie «E-JUST» en tant que jeune université axée sur la recherche scientifique avancée et l'innovation, appelée à servir de socle au développement industriel en Égypte, dans le monde arabe et en Afrique : l'«E-JUST», est la première université de ce type établie en partenariat avec le Japon. En effet, l'E-JUST et l'EJS, ainsi que l'ensemble des programmes de coopération bilatérale dans le domaine de l'éducation, constituent un modèle idéal de coopération productive et mutuellement bénéfique entre les deux pays. Comme l'a déclaré un haut fonctionnaire japonais, «la coopération avec l'Égypte dans le domaine de l'éducation a conduit le Japon à prendre conscience de son potentiel d'exportation à travers le monde».

• Mme Imoto :
La coopération de la JICA dans le domaine de l'enseignement supérieur soutient généralement le renforcement des capacités des universités existantes. Cependant, pour l'E-JUST, il a fallu tout concevoir à partir de zéro. Au début, les Japonais étaient quelque peu sceptiques, car il est difficile de prendre des engagements forts sur une longue période. Toutefois, Mme Ogata ne craignait pas de prendre des risques lorsqu'il s'agissait de la meilleure voie à suivre.

• Mme Aboulnaga :
Il me tient à cœur d'exprimer ma gratitude personnelle et perpétuelle à ma très chère amie, la regrettée Mme Ogata, pour son soutien sans faille au projet E-JUST. Elle était fermement convaincue de la nécessité de réaliser ce projet et c'est grâce à sa détermination, à son soutien et à ses encouragements qu'un rêve s'est concrétisé. Je me souviens d'elle lors de la cérémonie de pose de la première pierre au milieu d'un terrain dans le désert, alors qu'il était difficile d'imaginer que quelque chose de viable existerait un jour à cet endroit. Aujourd'hui, il y a un campus principal exceptionnel, un campus secondaire, des laboratoires équipés à la pointe de la technologie et une bibliothèque ultramoderne. À chaque réunion du conseil d'administration de l'E-JUST, je suis très fière, avec ma chère amie la vice-présidente Imoto-san, ainsi qu'avec les membres égyptiens et japonais du conseil d'administration, auxquels je suis toujours reconnaissante, de constater et de suivre les progrès continus et de voir de nouveaux horizons s'ouvrir. L'E-JUST est devenu un modèle concret, voire un emblème de la coopération entre l'Égypte et le Japon, et un exemple de réussite éclatante, qui prouve que lorsqu'il y a une volonté, il y a un chemin ; et à mon avis, une détermination égyptienne/japonaise ouvre des perspectives brillantes, prometteuses et couronnées de succès !

PhotoLe campus principal de l'Université Égypte-Japon des sciences et de la technologie (E-JUST) a ouvert ses portes en 2019 et accueille plus de 3 000 étudiants depuis octobre 2022.


• Mme Imoto :
Vous avez parlé de «travail d'équipe», et il est très important que nos partenaires égyptiens témoignent d'une volonté et d'un leadership affirmés. Nous avons la chance de pouvoir compter sur vous, sur l'ambassadeur Aboulnaga, sur le professeur Helal, l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur, et d'autres participants à cette aventure. Nous n'aurions jamais pu obtenir ces résultats autrement. Un autre facteur du succès de l'E-JUST réside dans son positionnement clair en tant que modèle de réforme de l'enseignement théorique dispensé dans des classes nombreuses, typique de la formation traditionnelle des ingénieurs égyptiens. L'enseignement supérieur japonais se caractérise par des classes de petite taille et un enseignement pratique, axé sur la recherche. Depuis le début, la mise en place de cours sous forme de séminaires à la japonaise a favorisé une attitude d'apprentissage autodirigé, y compris la participation proactive des étudiants. J'espère qu'à l'avenir, davantage de Japonais étudieront à l'E-JUST et que plus de jeunes Égyptiens inscrits à l'E-JUST intégreront des universités japonaises. Chacun peut apprendre de l'autre et nouer des partenariats étroits à l'école et sur le plan personnel. Les professeurs et les instituteurs du Japon pourraient également apprendre beaucoup de l'Égypte.

• Mme Aboulnaga :
Par définition, la coopération est une voie à double sens, un processus qui rapproche nos deux pays. À cet égard, j'ai insisté pendant les négociations sur le fait que les sciences humaines, les arts libéraux et l'étude de la langue japonaise devaient également être introduits dans le programme E-JUST, afin de comprendre le peuple, la culture et les spécificités du Japon.

• Mme Imoto :
Les projets EJS et E-JUST en Égypte ne sont pas conçus pour calquer le système éducatif japonais. Nous essayons de l'adapter à la société égyptienne. L'Égypte jouant un rôle de premier plan dans le monde arabe et en Afrique, si cette réforme de l'enseignement est couronnée de succès, elle servira de modèle à d'autres pays pour améliorer leurs propres systèmes éducatifs. Dans ce processus, le Japon peut aussi tirer beaucoup d'enseignements de l'évolution de nos pays partenaires, car la société japonaise est également en train de changer.

• Mme Aboulnaga :
L'Égypte compte aujourd'hui plus de 105 millions d'habitants et sa population ne cesse de croître. Sur ce nombre, 65 % sont âgés de moins de 35 ans, et 50 % d'entre eux n'ont pas encore 25 ans. Cela signifie que l'Égypte est un vieux pays avec une population jeune ; et qu'à ce titre, elle doit assumer ses responsabilités vis-à-vis de sa population en termes de sécurité, d'alimentation, d'éducation, de soins de santé, de logement, de transport, etc. Seule la formation de générations d'Égyptiens bien éduqués peut garantir un développement durable. Je réaffirme que l'éducation est la clé du développement durable, du progrès et de l'avancement de toute nation. Nous pensons que le Japon est un modèle à suivre. L'éducation est essentielle pour permettre à notre pays d'aller de l'avant. Pour cette raison, nous sommes reconnaissants envers le gouvernement japonais pour sa coopération, en particulier par l'intermédiaire de la JICA, notre partenaire actif et de longue date dans ce programme éducatif. En matière d'éducation, les possibilités sont infinies.

• Mme Imoto :
Je vous remercie infiniment. Je suis fière que la JICA puisse être partenaire de ce projet de coopération.

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