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Trois décennies de promotion de l'appropriation et du partenariat : un regard sur l'histoire de la TICAD

14 juillet 2022

En août prochain, la TICAD 8 (la 8e conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique) sera accueillie par la Tunisie. Cette conférence, la huitième depuis l'édition inaugurale organisée à Tokyo en 1993, marquera le 29e anniversaire de la TICAD. Dans cet article, nous retraçons l'histoire de la TICAD et revenons sur les priorités définies par chacune de ses conférences par ordre chronologique. Nous clarifions ainsi la philosophie de la TICAD, qui a évolué et s'est transmise au cours des années, et indiquons les orientations de la TICAD 8.

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En 2019, la TICAD 7 a regroupé plus de 10 000 participants, 42 dirigeants africains venus de 53 pays, 52 pays partenaires de développement, 108 responsables d'organisations internationales et régionales ainsi que des partenaires de la société civile et du secteur privé.

Qu'est-ce que la TICAD ?

La TICAD (conférence internationale de Tokyo sur le développement de l' Afrique) (lien externe) aspire à (1) promouvoir un dialogue politique de haut niveau entre les dirigeants africains et les partenaires de développement, et (2) mobiliser un soutien pour les initiatives de l'Afrique en vue d'un développement autonome.

Tenue pour la première fois en 1993, la TICAD est aujourd'hui organisée conjointement par le Japon, la Commission de l'Union africaine (CUA), les Nations unies, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque mondiale.

Histoire de la TICAD:

(1) Avant la TICAD

Vers 1993, lors de la première édition de la TICAD, les pays occidentaux développés s'intéressaient peu à l'Afrique. En effet, dès la fin de la guerre froide, l'Occident a privilégié l'établissement de relations avec les pays de l'Europe de l'Est à la suite de la dissolution de l'Union soviétique. De plus, le manque de résultats concrets de l'aide, associée à la stagnation économique des pays développés, se sont traduits par une certaine « fatigue des pays donateurs » et une réticence à soutenir l'Afrique.

À l'époque, le gouvernement japonais cherchait de nouveaux moyens de contribuer à la communauté internationale dans la période de l'après-guerre froide. En 1989, le Japon, qui se trouvait alors à l'apogée de sa prospérité économique, était devenu le plus grand contributeur mondial de l'APD. Malgré l'intérêt déclinant des pays occidentaux industrialisés vis-à-vis de l'Afrique, le Japon s'interrogeait sur la nature de sa contribution internationale durant cette nouvelle ère. C'est dans ce contexte que s'est tenue la première TICAD.

(2) TICAD I - TICAD II Le Japon met en avant deux concepts clés : l'« appropriation » et le « partenariat »

La TICAD I a été organisée à Tokyo les 5 et 6 octobre 1993 par les Nations unies, la Coalition mondiale pour l'Afrique et le Japon. 48 pays africains y ont participé, en présence de cinq chefs d'État et de gouvernement africains. Elle a rassemblé 12 pays donateurs, la Communauté européenne et huit organisations internationales. L'objectif de la conférence était de « soutenir la réforme politique et économique en Afrique et d'attirer l'attention de la société internationale sur ce continent ». La Déclaration de Tokyo sur le développement de l'Afrique (lien externe), adoptée comme document final, comprenait les éléments suivants : l'autonomie des pays africains, le développement économique grâce aux activités du secteur privé, la coopération et l'intégration régionales, et la future coopération « Sud-Sud » entre l'Asie de l'Est et du Sud-Est et l'Afrique. Ces éléments seraient repris lors des réunions ultérieures de la TICAD.

Les concepts d'« appropriation » et de « partenariat » évoqués par le Premier ministre de l' époque Morihiro Hosokawa dans son discours liminaire (lien externe) ont été précurseurs. Ces concepts ont non seulement constitué la philosophie de base de la TICAD jusqu'à ce jour, mais ils sont également devenus la norme adoptée par différents pays et organisations lors des conférences sur le développement de l'Afrique.

L'appropriation ou « le respect de l'appropriation » consiste à soutenir activement les efforts d'autonomie des pays en développement. Le Japon a été un pionnier en défendant ce concept avant l'Occident. Inspiré par sa propre histoire et son expérience en matière d'aide aux pays d'Asie du Sud-Est, le Japon a considéré que les pays bénéficiaires devraient se charger eux-mêmes de leur développement, ce qui conduirait à une véritable indépendance économique. En dehors du Japon, de nombreuses organisations internationales accordent aujourd'hui une grande importance à cette notion.

Le respect des partenariats signifie également que pour soutenir l'appropriation par les pays bénéficiaires, ces derniers devraient coopérer avec divers acteurs, y compris les organisations internationales et les organisations non gouvernementales.

La TICAD I a déterminé la structure de la TICAD en tant que plateforme ouverte et multilatérale où, non seulement l'Afrique et le Japon, mais aussi la communauté internationale, peuvent discuter des moyens de promouvoir et soutenir le développement de l'Afrique. Elle a contribué à sensibiliser la communauté internationale à l'importance du développement de l'Afrique, alors même que les pays développés occidentaux s'intéressaient peu à ce continent. Les succès obtenus par la TICAD I et II ont rendu la TICAD unique comparée aux autres forums de développement de l'Afrique, comme ceux qui ont été lancés par la Chine ou l'UE dans les années 2000 et qui étaient bilatéraux et fermés jusqu'a ce jour.

La TICAD II s'est tenue cinq ans plus tard, en octobre 1998, autour du thème principal : « Réduction de la pauvreté et intégration dans l'économie mondiale ». Le PNUD a été désigné comme co-organisateur, et 80 pays, 40 organisations internationales et 22 ONG y ont participé. Le nombre de chefs d'État et de gouvernement africains est passé de cinq lors de la TICAD I à 15 lors de TICAD II. Le Programme d'action de Tokyo (lien externe), adopté en tant que document final, a réaffirmé l'importance de l'appropriation et du partenariat mondial et réorganisé les problèmes soulevés lors de la TICAD I en trois piliers : « développement social et réduction de la pauvreté », « développement économique » et « principes de base du développement ». Les politiques et actions prioritaires, y compris les objectifs numériques spécifiques, ont été définies, en particulier dans le domaine du développement social.

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Plusieurs types de riz sont cultivés au centre de formation agricole du Kilimanjaro (KATC pour
Kilimanjaro Agricultural Training Centre) en Tanzanie, soutenu par la coopération japonaise
pendant plusieurs décennies.


(3) TICAD III - TICAD V Sécurité humaine et croissance des économies émergentes

La TICAD III a accueilli 23 chefs d'État et de gouvernement africains, les présidents de la CUA, et la Banque mondiale en tant que nouveau co-organisateur . Dix ans après la fin de la guerre froide, les conflits internationaux sont devenus moins prégnants, mais les conflits internes et régionaux causés par des différences ethniques, religieuses et culturelles ont persisté. En outre, les conséquences négatives de la mondialisation, telles que le terrorisme international, la criminalité et les maladies infectieuses se sont accrues et des problèmes d'ampleur mondiale tels que le réchauffement climatique et les questions énergétiques se sont aggravés. Pour résoudre ces problèmes, le concept de « sécurité humaine », basé sur la « protection » et l'« autonomisation » des individus face aux menaces pesant sur leur survie, leurs moyens de subsistance et leur dignité, a vu le jour au sein de la communauté internationale. Le Japon a mené la discussion sur la « sécurité humaine », comme le montre l'appel lancé par le Premier ministre de l'époque, M. Mori, pour une « Commission sur la sécurité humaine » lors du sommet du Millénaire des Nations unies.

La Déclaration du 10e anniversaire de la TICAD (lien externe), adoptée lors de la TICAD III en 2003, a confirmé le succès de l'« appropriation » et du « partenariat » préconisés depuis la création de la TICAD. Elle a également introduit plusieurs concepts fondateurs des futures politiques de développement de l'Afrique : « leadership et participation publique », « paix et bonne gouvernance », « sécurité humaine » et « respect du caractère distinctif, de la diversité et de l'identité de l'Afrique ». De plus, la déclaration a salué les efforts du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), un programme de l'Union africaine (UA) initié par son prédécesseur, l'Organisation de l'unité africaine (OUA), en 2002. Le Premier ministre de l'époque, M. Koizumi Junichiro, a présenté les trois nouveaux piliers de l'aide à l'Afrique (lien externe) : « développement centré sur l'individu », « réduction de la pauvreté grâce à la croissance économique » et « fondations du développement » (consolidation de la paix et de la gouvernance). Alors que les deux derniers piliers s'inscrivent dans le cadre mis en place par la TICAD II, le « développement centré sur l'individu » reflète les concepts des OMD et de la « sécurité humaine » mis en avant lors du sommet du Millénaire des Nations unies en 2000.

Les années 2000 ont vu l'essor des économies émergentes. Les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ont atteint un développement économique remarquable au cours de cette période et ont commencé à assurer une « coopération Sud-Sud » en tant que nouveaux donateurs pour l'Afrique. De plus, divers forums de coopération au développement, tel que le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) mis en place par la Chine tous les trois ans depuis l'année 2000, ont également vu le jour. L'Afrique elle-même est entrée dans une période de croissance rapide grâce au développement de ses ressources, sortant ainsi des « 20 années perdues » dans les années 1980 et 1990. Ces circonstances ont fondamentalement changé la relation donateur-bénéficiaire entre les pays développés et les pays en développement.

La TICAD IV, organisée en 2008 à Yokohama avec la participation inédite de 41 chefs d'État et de gouvernement africains, avait pour thème « Vers une Afrique dynamique - un continent d'espoir et d'opportunités ». La Déclaration de Yokohama (PDF), adoptée comme document final, définit la « la croissance économique » comme axe principal du programme, suivi par la « réalisation des OMD », « la sécurité humaine », « la consolidation de la paix et la bonne gouvernance » et « la lutte contre les problèmes environnementaux ». Le premier axe reconnaissait la croissance économique de l'Afrique au début des années 2000 et appelait à une réforme de sa structure économique reposant sur les matières premières pour atteindre une croissance durable,. Les moyens pour atteindre cet objectif incluaient le développement des ressources humaines, le développement industriel accéléré, le développement agricole et rural, le commerce et l'investissement, et la promotion du tourisme, en mettant l'accent sur le rôle intersectoriel du secteur privé par le renforcement des partenariats public-privé. En réponse à la nécessité d'un suivi constant du processus de la TICAD soulignée par plusieurs dirigeants africains lors de la TICAD III, un mécanisme de suivi (PDF) sur trois niveaux a été introduit lors de la TICAD IV en 2009 : secrétariat, comité de suivi conjoint et réunion ministérielle. De plus, le Premier ministre de l'époque, Yasuo Fukuda, a annoncé que le Japon allait doubler les versements d'APD à l'Afrique au cours des cinq années à venir.

La Déclaration de Yokohama (lien externe), adoptée lors de la TICAD V en 2013, a accueilli la Commission de l'Union africaine en tant que co-organisateur et mis en avant plusieurs thèmes majeurs : les « économies robustes et durables », les « sociétés résilientes et inclusives » et la « paix et la stabilité ». Fondée sur les principes fondamentaux consistant à (1) respecter et soutenir les initiatives de l'Afrique, (2) instaurer des droits pour les femmes et les enfants et élargir l'accès à l'emploi et à l'éducation, et (3) promouvoir la sécurité humaine, la déclaration de Yokohama de 2013 appelle à (1) promouvoir une croissance impulsée par le secteur privé, (2) développer les infrastructures dans les domaines de l'équipement (par l'utilisation des fonds du secteur privé), des ressources humaines (développement des ressources humaines dans l'industrie) et de l'intellect (science et technologie), (3) développer l'agriculture, (4) garantir la résilience par la prévention des catastrophes, les mesures de lutte contre le réchauffement climatique, et la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles, (5) fournir une éducation primaire et des services de santé pour tous, et (6) instaurer la paix, la stabilité et une bonne gouvernance. Comme en témoignent ces objectifs, la TICAD V continuait, dans la ligne de la TICAD IV, de mettre l'accent sur une croissance économique durable en partenariat avec le secteur privé.

Au-delà des conclusions adoptées par les documents finaux, les investissements du secteur privé en Afrique étaient au centre de la TICAD V, comme le montre son slogan : « de l'aide à l'investissement ». Le Premier ministre de l'époque, Shinzo Abe, s'était alors engagé à investir en Afrique 32 milliards USD de fonds publics et privés au cours des cinq années à venir.

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Projet de construction d'écoles primaires publiques au Burkina Faso.

(4) TICAD VI - TICAD 7 Vers un développement durable

À partir de la TICAD V, la conférence est organisée tous les trois ans, alternativement en Afrique et au Japon. La TICAD VI a eu lieu au Kenya en 2016.

Au cours des trois années séparant la TICAD V de la TICAD VI, des changements importants se sont produits en Afrique. Le premier a été la stagnation de la croissance économique : la croissance du PIB réel en Afrique, assez forte depuis 2002, s'est ralentie à partir de 2013. En raison de sa dépendance envers les matières premières, l'Afrique a été frappée de plein fouet par la chute du prix de ces dernières.

De multiples événements ont également mis au jour la grande fragilité politique et sociale de l'Afrique : l'attaque d'un centre commercial kényan en septembre 2013, le déclenchement de la guerre civile au Soudan du Sud en décembre de la même année, l'enlèvement d'étudiants par les forces de Boko Haram au Nigeria, ainsi que d'autres conflits et attaques terroristes par des groupes extrémistes. Parallèlement, l'Afrique de l'Ouest subissait une épidémie du virus Ebola, de fin 2013 jusqu'au début 2016.

À la lumière des nouvelles vulnérabilités de l'Afrique, la TICAD VI s'est concentrée sur les mesures à prendre pour garantir une croissance économique durable. La Déclaration de Nairobi (lien externe) adoptée à l'issue de la conférence avait pour thème « Partenariat TICAD pour la prospérité : faire avancer le programme du développement durable en Afrique ». Trois nouveaux défis majeurs ont été identifiés : « le déclin du prix des matières premières au niveau mondial », « l'épidémie d'Ebola » et « la radicalisation, le terrorisme, les conflits armés et le réchauffement climatique ». Pour aborder ces problèmes, trois nouveaux piliers ont été définis : la « promotion de la transformation économique structurelle par la diversification économique et l'industrialisation », la « promotion des systèmes de santé résilients pour une meilleure qualité de vie » et la « promotion de la stabilité sociale pour une prospérité partagée ». En outre, le principe directeur de la déclaration était conforme à « l'Agenda 2063 » formulé par la CUA en 2015, et l'accent a été mis sur le respect des initiatives africaines, conformément au principe d‘« appropriation ».

Il va sans dire que la TICAD VI, en mettant l'accent sur la durabilité, s'inscrivait dans la droite ligne des ODD décidés lors de l'Assemblée générale des Nations unies en 2015. La déclaration de Yokohama adoptée lors de la TICAD VII en 2019 réaffirme l'engagement de la TICAD pour les ODD. Cette déclaration (PDF) identifie les défis mondiaux tels que le réchauffement climatique, les catastrophes naturelles, la perte de la biodiversité, la pauvreté et les inégalités, les migrations humaines, la radicalisation et le terrorisme, et souligne la nécessité de relever ces défis tout en améliorant et en accélérant le développement et la croissance économique. Les mesures proposées comprennent « l'accélération de la transformation économique et l'amélioration de l'environnement des affaires grâce à l'innovation et à l'engagement du secteur privé », « la consolidation de sociétés durables et résilientes », et « le renforcement de la paix et de la stabilité ». Concernant la coopération avec le secteur privé, la TICAD 7 va plus loin en incluant le secteur privé en tant que partenaire à part entière, conformément à la philosophie des ODD qui encourage l'action proactive de divers acteurs. La TICAD 7 a également souligné le potentiel de la numérisation et de l'innovation par les jeunes entrepreneurs africains, conformément à son thème « Faire avancer le développement de l'Afrique à travers l'individu, la technologie et l'innovation ».

La TICAD 8 face aux défis d'une nouvelle ère

Comme nous l'avons vu, la TICAD s'est concentrée sur l'appropriation et le partenariat dès sa première édition, mais elle a su adapter sa coopération en réponse aux défis de chaque période, tels que la « sécurité humaine » et les « objectifs de développement durable ». La TICAD 8 qui se tiendra à l'été 2022, devra trouver les moyens de parvenir à la résilience, l'inclusion et l'abondance en Afrique dans un contexte de crise marqué par l'épidémie mondiale du nouveau coronavirus, le réchauffement climatique et la situation en Ukraine.

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Le pont de la Liberté au Soudan du Sud. La cérémonie d'ouverture du pont s'est tenue le
19 mai 2022, avec les drapeaux du Japon et du Soudan du Sud flottant côte à côte.