La prochaine vague africaine : comment la jeunesse et la tech changent la donne

Fujimoto Masaru
Édition de la version française : Jérôme Pace

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(Photo : JICA / Shinichi Kuno)

Série : L’Afrique en ligne de mire

À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce deuxième épisode met l’accent sur la jeunesse et la culture.

L’Afrique est en plein essor et le monde commence à le remarquer. Avec plus de 1,5 milliard d’habitants répartis dans 54 pays, le continent abrite une population équivalente à celle de 68 pays d’Amérique du Nord (y compris l’Amérique centrale et les Caraïbes), d’Europe et d’Asie réunis. Il connaît une profonde mutation, portée par une jeunesse dynamique, des centres urbains en pleine croissance et une explosion de la connectivité numérique.

De Lagos au Cap, une nouvelle génération de créateurs, d’entrepreneurs et d’innovateurs fait émerger des tendances mondiales dans la musique, le cinéma, la mode et la technologie : les artistes d’afrobeat, par exemple, dominent les classements internationaux avec des milliards d’écoutes. De même, les créateurs africains allient traditions et modernité pour proposer des créations audacieuses, colorées et exportées dans le monde entier grâce aux plateformes numériques. Enfin, les films de Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane, ne se limitent plus au marché local, mais séduisent aujourd’hui un public mondial via des services de streaming comme Netflix.

Une jeunesse qui façonne l’avenir

Ce qui distingue l’Afrique, c’est sa jeunesse. En effet, environ 70 % de sa population a moins de 30 ans, une particularité faisant du continent l’une des régions les plus jeunes du monde. Cette énergie juvénile alimente un boom culturel et économique.

À Mombasa, au Kenya, Maeda Chiho, fondatrice d’une agence de voyages japonaise, a été frappée par l’omniprésence de la jeunesse dans la rue. Elle souligne à quel point la vie quotidienne y diffère de celle du Japon, où le vieillissement de la population est un défi majeur. Dans de nombreux pays africains, les enfants et les jeunes adultes sont perçus comme le moteur de l’avenir.

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(Des vendeurs, dont beaucoup ont moins de 30 ans, vendent des légumes dans un marché aux épices à Mombasa, au Kenya, en juin 2025/Photo : Maeda Chiho)

Une croissance économique solide

L’économie africaine attire aussi de plus en plus l’attention. Selon la Banque africaine de développement, la croissance réelle du PIB du continent a atteint 3 % en 2023, avec des prévisions estimées à 4,4 % d’ici 2026. En Afrique subsaharienne, la croissance devrait atteindre 3,8 % en 2024, d’après l’édition 2025 de l’Economic Survey du Kenya.

Même si le continent fait encore face à de nombreux défis, certaines économies prennent une place croissante à l’échelle mondiale. Selon le classement 2025 du PIB publié par le FMI, l’Afrique du Sud occupe le 40e rang mondial, devant la Roumanie et la République tchèque. Le Nigéria et le Kenya progressent eux aussi, témoignant de leur influence grandissante.

La mode africaine s’épanouit grâce au numérique

Les réseaux sociaux, notamment TikTok, jouent un rôle essentiel dans la transformation du paysage de la mode en Afrique. En effet, des tutoriels de mode aux ventes en direct, ces plateformes permettent à des influenceurs de présenter les dernières tendances et à de jeunes entrepreneurs de vendre directement leurs créations.

Ikewada Sako, une employée de la JICA de 25 ans, a passé, à partir de novembre 2023, trois mois à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Au cours de sa mission, son travail a couvert diverses initiatives en matière de gouvernance, d’infrastructures et d’industrie, incluant la riziculture, la pisciculture et le soutien éducatif. Elle témoigne d’une classe moyenne en pleine expansion, portée par l’élévation du niveau de vie et le dynamisme d’une jeunesse qui façonne des cultures nouvelles et vibrantes.

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(Ikewada Sako est entourée d’élèves lors d’une visite d’école à Grand-Popo, au Bénin, en janvier 2024/Photo : Ikewada Sako)

Selon elle, ce progrès économique se traduit aussi dans la mode : « De plus en plus de personnes peuvent se permettre d’y consacrer du temps et de l’argent. »

Un marché du e-commerce en plein développement

D’après ANZA, une plateforme qui accompagne les entreprises japonaises en Afrique, plusieurs facteurs expliquent cet essor : la généralisation de l’accès à Internet, les progrès technologiques et l’évolution des habitudes de consommation, accélérée par la pandémie de COVID-19.

Résultat : les entreprises de mode du continent se digitalisent, et les consommateurs suivent cette tendance.

Le marché du commerce électronique de la mode en Afrique devrait générer 19,8 milliards de dollars en 2024 (environ 17,2 milliards d'euros). Un chiffre modeste face aux 520 milliards de dollars (environ 453 milliards d’euros) du marché asiatique, mais en forte croissance. ANZA note que l’intérêt international pour le design africain contribue à cette dynamique : « Le marché africain attire de plus en plus l’attention. »

Instagram, Facebook, Temu, Amazon ou encore Jumia, la plateforme nigériane, figurent parmi les canaux de vente privilégiés. La majorité des achats se fait via smartphone, l’ordinateur personnel restant hors de portée pour de nombreux foyers.

Selon la GSMA, 64 % des habitants d’Afrique subsaharienne possédaient un smartphone fin 2021. Ce chiffre devrait atteindre 75 % d’ici fin 2025, et 88 % à l’horizon 2030, selon les estimations de JETRO.

Des marques internationales comme H&M ou Zara ont déjà investi le continent, adaptant leurs collections aux tissus locaux et aux préférences culturelles.

Une mosaïque de styles

Revenant sur son expérience ivoirienne, Ikewada Sako note que chaque pays a ses particularités. En Côte d’Ivoire, les motifs sont vifs et expressifs, tandis qu’en Afrique du Sud ou au Mozambique, les tendances sont plus épurées et minimalistes.

Même si le coton est la matière textile la plus produite en Afrique, il est encore majoritairement transformé en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Belgique. « Très peu de tissus sont réellement fabriqués localement », explique-t-elle. Si certaines régions conservent des techniques traditionnelles de teinture, la plupart des tissus sont importés.

La production artisanale domine encore largement. Les vêtements sont souvent cousus à la main, dans une culture qui valorise le savoir-faire local. En milieu professionnel, les codes vestimentaires tendent toutefois à se standardiser. « Hommes et femmes portent le costume au bureau », précise Ikewada Sako. « Les tenues traditionnelles deviennent rares au quotidien. » Maeda Chiho, installée au Kenya, note également que la majorité de la population porte des vêtements de style occidental, les habits traditionnels étant réservés aux cérémonies, comme au Japon.

Quand la tradition inspire la modernité

En Afrique de l’Ouest, notamment au Nigéria, la mode traditionnelle connaît un renouveau porté par une nouvelle génération. Frances Chinwe Anieheobi, une fonctionnaire nigériane de 30 ans actuellement étudiante à Tokushima, au Japon, partage sa vision : « La mode, c’est notre identité. Elle dit qui nous sommes, d’où nous venons, ce que nous exprimons et ce que nous aimons. »

Issue du groupe ethnique igbo, elle affectionne les vêtements décorés de motifs de lion, symbole de sa tribu. « Les porter m’aide à affirmer mes racines », dit-elle.

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(Frances Chinwe Anieheobi porte une robe traditionnelle inspirée de la culture igbo/Photo : Frances Chinwe Anieheobi)

De plus en plus de jeunes Africains adoptent un style hybride, mêlant influences occidentales et héritage culturel. Des créatrices comme Lisa Folawiyo — présente au Nigéria et à New York, et publiée dans Vogue Italia — ou Veekee James — désignée meilleure styliste d’Afrique en 2022 — incarnent cette fusion. Leurs créations associent des tissus traditionnels comme le wax Ankara à des coupes modernes, des broderies délicates et des détails brillants.

« Les stylistes africains excellent dans l’art d’associer tissus locaux et inspirations mondiales », explique Frances Chinwe Anieheobi. « Il y a aujourd’hui une vraie fierté. Porter de la mode africaine, c’est aussi revendiquer son identité. »

Tendances musicales : l’Afrique fait danser la planète

L’un des phénomènes culturels les plus marquants venus d’Afrique aujourd’hui, c’est l’explosion de sa scène musicale. L’afrobeat, qui mêle rythmes traditionnels et sons actuels, propulse une nouvelle génération d’artistes sur le devant de la scène mondiale. Le Nigérian Rema, 25 ans, a cartonné avec Calm Down, en duo avec Selena Gomez. Résultat : plus d’un milliard d’écoutes sur Spotify, une première pour un artiste africain.


Autre figure de proue, Wizkid, 34 ans, séduit lui aussi un public mondial. Influencé par le hip-hop et le reggae, il est l’un des piliers de l’afrobeat moderne.

Au Ghana, le titre Shake It to the Max, signé Moliy et Silent Addy, a dominé l’Afrobeat Chart UK pendant 11 semaines à partir du 30 mars 2025. Entièrement en anglais, il illustre l’attrait global de cette musique rap.

TikTok joue un rôle clé dans cette expansion, et plus particulièrement celle de la musique nigériane, véritable moteur de la culture jeune sur le continent. Des millions de jeunes dansent sur ces tubes, amplifiant leur portée. Une vidéo virale d’une influenceuse dansant avec des enfants en Ouganda a dépassé les 6 millions de vues, inspirant des centaines de répliques partout sur le continent.

Nollywood : le cinéma africain à l’assaut du monde

Impossible de parler culture africaine sans évoquer Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane. Avec près de 2 000 films produits chaque année, elle rivalise en volume avec Hollywood et Bollywood. Son nom, contraction de Nigéria et Hollywood, témoigne de cette ambition.

Même si elle ne peut concurrencer les recettes nord-américaines (8,75 milliards de dollars en 2024/environ 7.62 milliards d’euros), Nollywood génère entre 500 millions et 1 milliard de dollars par an (soit environ 453 millions et 871 millions d’euros). Ses films, souvent tournés avec des budgets modestes, abordent des thèmes forts comme la pauvreté, la drogue ou la traite humaine, tout en gardant des messages porteurs d’espoir.

Citons quelques œuvres marquantes : Gangs of Lagos (2023), un film d’action percutant ; Endangered Species (2021), un drame sur le braconnage en savane ; et Rafiki (2018), premier film kényan sélectionné à Cannes.

Le streaming transforme aussi cette industrie. Selon Ikewada Sako, la majorité des Africains regardent les films sur leur smartphone plutôt qu’en salle, surtout en zones rurales. « Même les enfants regardent des films sur leur téléphone », note-t-elle.

Grâce à des plateformes comme Amazon Prime Video, U-Next ou Hulu, ces films sont désormais disponibles au Japon, offrant un aperçu précieux de la créativité du continent.