Oki Taikan, lauréat du prix de l'eau : Le pouvoir d'engagement est la clé d'un avenir durable



2024.10.07
Le professeur Oki Taikan de l'Université de Tokyo a reçu en 2024 le « Prix de l'eau de Stockholm », plus connu sous le nom de « Prix Nobel de l'eau ». Il travaille depuis de nombreuses années en partenariat avec la JICA pour rechercher des approches de développement qui résistent aux catastrophes hydriques induites par le climat. Il s'est entretenu avec la vice-présidente exécutive senior de la JICA, Miyazaki Katsura, sur les moyens de construire un avenir plus durable face à la montée des risques climatiques.
Le professeur Oki Taikan de l'École supérieure d'ingénierie de l'Université de Tokyo (à gauche) et la vice-présidente exécutive senior de la JICA, Miyazaki Katsura
Le changement climatique a peut-être eu l'impact le plus important sur l'eau, créant des défis pour l'ensemble de l'humanité sous la forme de catastrophes naturelles à grande échelle, telles que les inondations, les sécheresses et les incendies de forêt.
Oki Taikan est un expert de renommée mondiale dans le domaine de l'hydrologie, l'étude de tous les phénomènes liés à l'eau sur notre planète. Il a développé un modèle numérique de systèmes complexes qui intègre le débit des rivières et l'activité humaine dans le cycle de l'eau. Ce modèle a permis de mieux appréhender le bilan hydrique mondial et de prévoir l'impact du changement climatique sur les ressources en eau et la vie humaine. La cartographie numérique des principaux fleuves du monde qu'il a développée est la plus utilisée aujourd'hui. Le Prix de l'eau de Stockholm lui a été décerné pour ses travaux qui ont grandement fait progresser la compréhension des liens entre l'hydrologie, le changement climatique et le développement durable.
Une équipe de recherche dirigée par M. Oki participe depuis de nombreuses années au programme SATREPS (Partenariat de recherche scientifique et technologique pour le développement durable) qui aborde des questions mondiales en partenariat avec les pays en développement, administré par la JICA et l'Agence japonaise pour la science et la technologie (JST). Son équipe a mené deux projets de recherche conjoints en Thaïlande sur l'élaboration de mesures d'adaptation visant à réduire le risque de catastrophes liées à l'eau induites par le climat.
M. Oki et Miyazaki Katsura, qui a collaboré aux initiatives de recherche de M. Oki lorsqu'elle dirigeait le bureau thaïlandais de la JICA, explorent les moyens d'inciter un plus grand nombre de personnes à s'engager dans la construction d'un avenir durable.
Oki Taikan, conseiller spécial du président de l'Université de Tokyo ; professeur, École supérieure d'ingénierie, Université de Tokyo
Diplômé de l'Université de Tokyo et titulaire d'un doctorat en ingénierie obtenu dans cette même université. Il est également météorologue certifié. Il est professeur à l'Université de Tokyo depuis 2006. Il a été vice-recteur principal de l'Université des Nations unies et sous-secrétaire général des Nations unies de 2016 à 2021. Il a également été l'un des principaux auteurs du cinquième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et membre du Conseil national des terres. Il a reçu le Prix de l'eau de Stockholm et la médaille du gouvernement japonais avec le ruban violet en 2024. Parmi les publications récentes, citons Kiko hendo to shakai: Kiso kara manabu chikyu ondanka mondai (Changement climatique et société : Une introduction aux questions liées au réchauffement climatique), publié par les Presses de l'Université de Tokyo.
MIYAZAKI KATSURA : Félicitations, professeur Oki, pour avoir remporté le très prestigieux Prix de l'eau de Stockholm.
OKI TAIKAN : Je vous remercie. Comme vous le savez, j'ai participé à deux projets de recherche conjoints avec la JICA sur l'eau, le changement climatique et le développement durable en Thaïlande à partir de 2008. Et je crois que ces réalisations ont été prises en considération dans le processus de sélection du prix.
Mme MIYAZAKI : La JICA accorde une grande importance à la sécurité humaine, un concept qui considère que tous les individus ont le droit de vivre à l'abri de la peur, à l'abri du besoin et dans la dignité. Nous avons également renforcé nos efforts pour promouvoir la durabilité et contribuer à la réalisation des ODD. En repensant à vos projets en Thaïlande, je suis frappée par la nature pionnière de votre travail, comme le suggèrent les tentatives d'application des résultats de vos recherches au profit de la société. C'est une chose que la JICA s'efforce maintenant de faire progresser.
M. OKI : La sécurité humaine est une notion que les Nations unies et le gouvernement japonais ont proposée à la communauté internationale, et nous devons en être fiers. Les politiques de sécurité ne sont plus axées sur la protection des pays, mais sur celle des personnes. C'est ce qui sous-tend une grande partie des activités de la JICA, et c'est la raison pour laquelle nous, les chercheurs, avons été motivés pour utiliser les résultats de la recherche scientifique et technologique au profit de la société.
Miyazaki Katsura, vice-présidente exécutive senior, JICA
Elle a pris ses fonctions actuelles en mai 2024 après avoir été nommée vice-présidente senior en octobre 2022. Elle a également occupé les fonctions de directrice générale adjointe senior et de directrice senior du bureau pour l'égalité des sexes et la réduction de la pauvreté au sein du département des infrastructures et de la consolidation de la paix, de représentante en chef du bureau de Thaïlande et de directrice générale du département de la gouvernance et de la consolidation de la paix.
Mme MIYAZAKI : Pour vos projets en Thaïlande, vous avez réussi à impliquer de nombreux chercheurs de différents domaines et d'institutions thaïlandaises de premier plan, comme l'Université Kasetsart, et d'universités japonaises.
M. OKI : La raison pour laquelle nous avons invité des personnes d'horizons très différents est que le changement climatique a un impact très large. L'eau est associée à toute une série de domaines, de la santé humaine au développement urbain. Nous savions également par expérience que le fait de travailler dans plusieurs domaines différents peut créer des synergies positives. Il en va de même pour les objectifs de développement durable (ODD). Des résultats positifs dans l'un des 17 domaines entraîneront également des gains dans des domaines étroitement liés.
Le sixième rapport d'évaluation du GIEC, publié en 2022, a introduit un concept appelé « développement résilient au changement climatique », qui peut être atteint en générant des synergies grâce au développement approprié de la société humaine, à des actions visant à atténuer le changement climatique ou à s'y adapter, et à la conservation de la biodiversité. Je pense qu'il s'agit d'une idée très importante.
Mme MIYAZAKI : La JICA coopère à un large éventail de projets liés au climat en Thaïlande, tels que l'aide à la formulation de plans de continuité des activités pour permettre aux entreprises de reprendre rapidement leurs activités en cas d'inondation ou d'autre catastrophe naturelle. Vous n'avez peut-être pas participé à tous ces projets, mais c'est grâce à vos efforts pour nouer des contacts avec des chercheurs japonais et thaïlandais que bon nombre d'entre eux se sont concrétisés. Cela dit, je ne peux m'empêcher de penser que l'intérêt des chercheurs japonais pour les pays en développement a diminué ces dernières années.
M. OKI : D'une manière générale, les chercheurs ont tendance à se concentrer sur les développements nationaux, et il est vrai que la recherche de pointe dans certains domaines nécessite des installations qui ne sont disponibles que dans les pays développés. Mais la gestion durable de l'eau est un sujet qui implique de répondre aux besoins de la société tout en protégeant la nature, de sorte que la recherche de solutions mondiales n'est pas quelque chose que le Japon peut faire seul. Nous devons mener des recherches dans le monde entier, y compris dans les pays en développement.
Visite de chercheurs japonais et thaïlandais sur le site radar du département météorologique thaïlandais. (Avec l'aimable autorisation de l'Agence japonaise pour la science et la technologie)
Surveillance des côtes par des étudiants thaïlandais. Des levés topographiques ont été effectués dans la province de Songkhla, dans le sud de la Thaïlande, avec la participation du personnel local.
Mme MIYAZAKI : Se concentrer uniquement sur les études de cas japonaises n'aura évidemment qu'un impact limité lorsqu'il s'agira de relever des défis mondiaux. Je suis certaine que l'étude de la relation entre la nature et l'eau, qui peut varier d'une région à l'autre, nécessite l'analyse de données provenant de nombreuses localités différentes. La JICA fonctionne sur la même base. Nous envoyons des personnes dans toutes les régions du monde pour recueillir des informations et acquérir une compréhension directe des besoins locaux. Je pense qu'il s'agit d'une force que nous pouvons exploiter pour garantir plus efficacement l'application des résultats de la recherche afin de promouvoir le développement durable et de travailler avec les pays en développement pour relever les défis du changement climatique.
Mme MIYAZAKI : J'ai été impressionnée par les nombreux jeunes étudiants qui participent à vos projets de recherche en Thaïlande. Leur présence a permis de créer des réseaux qui transcendent les différences générationnelles.
M. OKI : J'ai visité la Thaïlande pour la première fois il y a environ 35 ans, alors que je participais au programme intergouvernemental de l'UNESCO visant à promouvoir les échanges entre scientifiques. Je me souviens d'avoir été étonné par les différences d'environnement aquatique d'un pays à l'autre. Cette expérience est au cœur de ma carrière de chercheur. Cela explique aussi pourquoi j'ai essayé de faire participer les étudiants à autant de projets aussi différents que possible.
« J'entends souvent dire que les jeunes se sont repliés sur eux-mêmes ces dernières années », explique M. Oki, « mais beaucoup de mes étudiants me disent qu'ils veulent aller à l'étranger et travailler dans le domaine de la coopération internationale ».
Mme MIYAZAKI : Quels conseils donnez-vous à vos étudiants ?
M. OKI : Pour fonctionner efficacement, une organisation a besoin d'un grand nombre de personnes performantes. Ils sont très doués pour identifier les solutions les plus faisables et les plus optimales parmi les choix disponibles. Mais aujourd'hui, la demande de talents transcendants est peut-être plus forte. Il s'agit de personnes passionnées par la poursuite de leurs rêves ou de leurs intérêts et qui proposent des idées dont personne n'a jamais rêvé. Ou bien ils créeront de nouveaux précédents et réécriront les règles, rendant obsolètes les approches traditionnelles. Ils ont le pouvoir de changer les conventions et de transformer la société.
Mon conseil aux étudiants est donc qu'il n'y a pas de « bonne » réponse. La société est en constante évolution, et ils peuvent devenir les acteurs du changement. À eux de forger l'avenir. Nous construisons notre avenir par les choix que nous faisons chaque jour, et ces choix créeront la société d'ici 10 ou 50 ans.
Mme MIYAZAKI : Selon un rapport des Nations unies sur le financement du développement durable, environ 4,2 billions de dollars américains sont nécessaires chaque année pour combler le déficit de financement du développement et atteindre les ODD. Le budget de la JICA étant limité, nous cherchons à établir des partenariats avec des entités du secteur privé qui partagent nos objectifs et à trouver des voies qui maximiseront l'impact sur le développement. Pour l'instant, cependant, nous essayons encore de déterminer la meilleure façon de visualiser et de co-créer un tel impact.
M. OKI : Je pense que la JICA va dans la bonne direction. Il y a une limite à ce que nous pouvons faire par nous-mêmes, c'est pourquoi la meilleure façon de provoquer un changement est de s'engager avec d'autres personnes. C'est l'approche que nous avons adoptée pour la recherche sur le climat.
La force de la JICA réside dans le fait qu'il s'agit d'une institution bien établie. Les chercheurs, quant à eux, fonctionnent davantage comme des entreprises individuelles ; s'ils se désintéressent d'un sujet ou prennent leur retraite, leurs recherches peuvent s'arrêter. Cependant, lorsque la JICA lance un projet, elle s'engage pour la durée de celui-ci, par exemple cinq ans, et réalise ensuite une étude de suivi. C'est peut-être un travail difficile pour les gens de la JICA, mais c'est une grande source de confiance. Lorsque les gens ont confiance en vous, ils sont plus enclins à se serrer les coudes et à s'impliquer, ce qui peut se traduire par un mouvement qui change la société.
Le label JICA est réputé pour sa présence sur le terrain et jouit d'une grande crédibilité. Lorsque nous approchons un partenaire de recherche potentiel, il nous suffit de lui dire « Nous aimerions travailler avec vous dans le cadre d'un projet de la JICA » pour qu'il soit prêt à nous écouter. J'ai vraiment été frappé par la forte notoriété du label JICA lorsque je travaillais sur les projets de recherche en Thaïlande. Les gens pensent qu'en s'associant à des chercheurs japonais, ils obtiendront de bonnes idées et que les choses se passeront bien s'ils collaborent avec la JICA. Ce sentiment de confiance, peut-être plus que le montant du financement, est un atout majeur pour faire avancer les projets.
Mme MIYAZAKI : Comme l'indique notre vision, la JICA croit qu'il faut « guider le monde en tissant des liens de confiance ». Notre approche repose sur une collaboration étroite, en travaillant main dans la main avec les pays partenaires pour répondre à leurs besoins. Même si cela ne correspond pas exactement au modèle occidental de coopération au développement, cela nous a permis de gagner la confiance de pays du monde entier. Notre conversation d'aujourd'hui m’a confortée dans ma conviction que notre responsabilité à la JICA est d'instaurer cette confiance en renforçant le type de valeur que l'argent ne peut pas acheter. J'espère que nous pourrons continuer à travailler ensemble pour un avenir plus durable.
À propos du partenariat de recherche scientifique et technologique pour le développement durable (SATREPS)
Le SATREPS est un programme administré par la JICA, l'Agence japonaise pour la science et la technologie (JST) et l'Agence japonaise pour la recherche médicale et le développement (AMED), qui vise à promouvoir la recherche conjointe entre les experts japonais et ceux des pays en développement afin d'aborder les problèmes mondiaux. Il vise à générer de nouvelles connaissances susceptibles de contribuer à la résolution de problèmes mondiaux en établissant des partenariats avec les pays en développement dans le cadre de la coopération scientifique et technologique, dans le but d'appliquer les résultats de la recherche au profit de la société.
Projets SATREPS en Thaïlande impliquant l'équipe de recherche du professeur Oki :
Projet d'étude intégrée sur la prévision hydrométéorologique et l'adaptation au changement climatique en Thaïlande (IMPAC-T) (en anglais)
https://www.jst.go.jp/global/english/kadai/h2001_thailand.html
Faire progresser la co-conception de stratégies intégrées d'adaptation au changement climatique (ADAP-T) (en anglais)
https://www.jst.go.jp/global/english/kadai/h2702_thailand.html
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