Réflexion sur trois décennies de partenariat nippo-africain dans le cadre du TICAD et perspectives d’avenir

Fujimoto Masaru
Édition de la version française : Jérôme Pace

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(Photo de groupe des dirigeants à l’occasion de la TICAD 7, tenue à Yokohama en 2019.)

Série : L’Afrique en ligne de mire

À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce quatrième épisode met l’accent sur la genèse de la TICAD, son importance, les réalisations accomplies jusqu’à présent, ainsi que quelques projets envisagés pour l’avenir.

À quelques semaines de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), que le Japon accueillera du 20 au 22 août, les responsables de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) se penchent sur ses réalisations passées dans un contexte marqué par des évolutions majeures de l’aide mondiale et par des appels croissants, y compris en Afrique, à délaisser l’aide classique au profit de l’investissement direct.

Placée sous le thème « Cocréer des solutions innovantes avec l’Afrique », la TICAD 9 se tiendra à Yokohama. Cette initiative japonaise est coorganisée par les Nations unies, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque mondiale et la Commission de l’Union africaine (CUA).

Cette neuvième édition vise à redéfinir le discours sur le développement autour de trois grands objectifs : soutenir la prochaine génération, promouvoir une croissance inclusive et renforcer la coopération internationale.

Dans ses efforts de développement en Afrique, la JICA adopte une approche centrée sur les populations et guidée par le principe de la sécurité humaine. L’agence met l’accent sur l’appropriation africaine des efforts de développement et privilégie des partenariats d’égal à égal plutôt qu’une aide à sens unique. Sa stratégie repose notamment sur le partage d’expériences issues du Japon et d’autres pays asiatiques dans des domaines tels que le développement industriel, la résilience face aux catastrophes et la santé publique, mais également sur une collaboration étroite avec ses partenaires africains pour cocréer des solutions durables et adaptées.

Cependant, le chemin menant à cette nouvelle édition de la TICAD n’a pas toujours été facile. Lancée en 1993 pour faire face au recul de l’aide au développement en Afrique après la fin de la guerre froide, l’organisation de la Conférence a, en effet, dû relever de nombreux défis au cours de ses trente-deux années d’existence.

Yoshizawa Kei, 64 ans, conseiller principal du département « Afrique » de la JICA et vétéran impliqué dans presque toutes les éditions de la TICAD, a été le témoin privilégié de ces évolutions.

« Si l’on se replonge dans cette époque, le monde entrait dans une nouvelle phase (géopolitique) après l’effondrement de l’Union soviétique. Le Japon s’est empressé de redéfinir sa politique étrangère », explique-t-il. Une politique qui se révélera être principalement axée sur les Nations unies.

Sur le plan national, la scène politique japonaise est également en pleine mutation, le Parti libéral-démocrate perdant, deux mois avant la tenue de la première TICAD, en octobre 1993, le pouvoir après plusieurs décennies de règne et laissant la place à un gouvernement de coalition dirigé par le Premier ministre Morihiro Hosokawa.

À l’époque, Yoshizawa Kei fait partie des rares fonctionnaires gouvernementaux chargés des affaires africaines. Détaché auprès de ce qui est aujourd’hui devenu le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI), il est chargé d’organiser la première TICAD.

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(Yoshizawa Kei, conseiller principal à la JICA, lors d’un entretien en mai 2025. Il est impliqué dans la TICAD depuis sa création en 1993/Photo : Moritz Brinkhoff)

« Bien que la première TICAD ait reçu moins d’attention médiatique que d’autres initiatives majeures de la politique étrangère japonaise de l’époque — par exemple, l’envoi des Forces d’autodéfense pour des missions de maintien de la paix au Cambodge ou la nomination de Sadako Ogata, chercheuse en politique internationale, à la tête du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) —, elle représentait un engagement diplomatique fort », précise Yoshizawa Kei. « Elle s’est notamment conclue par la déclaration de Tokyo, dans laquelle le Japon s’engageait à soutenir le développement de l’Afrique. »

Pourquoi la TICAD ?

La décision du Japon de lancer la TICAD 1 (en coopération avec les Nations unies) est née de la reconnaissance de ses liens diplomatiques limités avec l’Afrique. En effet, avant les années 1990, « la diplomatie japonaise était centrée sur les États-Unis, l’Europe et l’Asie ; l’Afrique était quasiment absente », souligne Yoshizawa Kei. Conçue dans le cadre d’une diplomatie japonaise axée sur les Nations unies, la TICAD 1 a donc un objectif précis : renforcer l’influence du Japon en obtenant le soutien des 54 pays africains du système onusien.

À cette époque, l’Afrique connaît elle aussi des changements majeurs, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud entraînant la réintégration de cette dernière au sein de la communauté internationale. Le Japon, qui rétablit ses relations diplomatiques avec le pays en 1992, tout en veillant à ne pas apparaître comme trop aligné avec une seule puissance du continent, choisit alors d’adopter une approche plus large, fondée sur la coopération économique avec l’ensemble des pays africains.

« Si le Japon s’était concentré uniquement sur quelques pays africains en en laissant d’autres de côté, cela aurait pu provoquer un effet boomerang », estime Yoshizawa Kei.

Construire une dynamique

En 1998, la TICAD 2 (en coopération avec le PNUD) marque un tournant avec le lancement du plan d’action de Tokyo, une stratégie d’aide économique détaillée. « Progressivement, la manifestation gagne en importance, jusqu’à atteindre un moment clé avec la TICAD 4, organisée en 2008 à Yokohama déjà », affirme Yoshizawa Kei. « Notamment grâce au leadership de Sadako Ogata en tant que présidente de la JICA, ce sont plus de quarante chefs d’État africains qui ont ainsi participé à la Conférence, son agenda portant principalement sur la flambée des prix alimentaires. Par ailleurs, les programmes de culture rizicole de la JICA et sa coopération technique dans plusieurs régions d’Afrique ont été mis en avant lors d’événements parallèles ; une initiative qui visait entre autres à doubler la production de riz en Afrique subsaharienne sur dix ans. »

La TICAD 5, en 2013, constitue une nouvelle étape majeure. Des représentants de 51 des 54 pays africains officiellement reconnus par l’ONU sont présents, dont 39 chefs d’État. Fait marquant, le Premier ministre Shinzo Abe préside la Conférence et rencontre presque toutes les délégations présentes. La JICA, pour sa part, organise une vingtaine d’événements parallèles pour présenter des initiatives dans les domaines de l’éducation, des infrastructures, de l’agriculture, de la santé et de l’approvisionnement en eau. Le succès de la manifestation confirme la place croissante de la TICAD sur la scène internationale.

Parallèlement, la Chine étend son influence en Afrique à travers l’initiative dite de « La Ceinture et la Route » qui finance des projets d’infrastructures à grande échelle sur tout le continent. En réponse, la TICAD, auparavant organisée tous les cinq ans, devient triennale à la demande des partenaires africains qui souhaitent un dialogue plus fréquent et une coopération renforcée. Une volonté de coopération renforcée qui sera mise en œuvre dès 2016 via l’organisation de la première TICAD sur le continent africain (TICAD 6). Organisée à Nairobi, au Kenya, cette dernière rassemblera environ 11 000 participants venus de 53 pays africains ou issus d’organisations internationales et du secteur privé (à titre d’exemple, près de 3 000 Japonais, parmi lesquels de nombreux représentants du monde économique, ont été décomptés sur place).

Le rôle croissant de la JICA

Si le ministère des Affaires étrangères continue de piloter la TICAD, la JICA joue un rôle de plus en plus central dans sa mise en œuvre. Yamae Mikuni, un fonctionnaire de la JICA âgé de 33 ans qui a participé à la TICAD 5 en tant que volontaire lorsqu’il était étudiant, a ensuite intégré l’équipe de la Conférence pour sa sixième édition à Nairobi et sa huitième à Tunis. Il insiste sur l’importance des événements parallèles comme les séminaires et les symposiums : « Les événements parallèles offrent un espace rare où des personnes de tous horizons peuvent échanger des idées. Ce type de dialogue ouvert est difficile à organiser dans le cadre des sessions plénières officielles de la TICAD. »

Ces sessions parallèles sont particulièrement précieuses pour qui souhaite favoriser les échanges entre les gouvernements, le secteur privé, la jeunesse et la société civile.

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(Yamae Mikuni de la JICA, ici lors d’un récent entretien en ligne, évoquant l’importance des activités de terrain et des bureaux locaux de la JICA en Afrique/Photo : Moritz Brinkhoff)

La force de la JICA réside non seulement dans sa présence de longue date sur le terrain, mais également dans sa compréhension avancée des contextes africains : un regard averti notamment rendu possible par les nombreux programmes développés au fil du temps, tels que les projets de coopération technique et les Volontaires japonais de la coopération à l’étranger (JOCV). Ces expériences, combinées au travail quotidien des bureaux locaux de la JICA, permettent à l’agence de rester à l’écoute des besoins concrets sur le terrain.

L’initiative ABE

L’un des résultats majeurs de la TICAD 5 a été le lancement de l'initiative ABE (African Business Education Initiative for Youth), annoncée par le Premier ministre Shinzo Abe. Ses objectifs : accueillir 1 000 jeunes Africains au Japon sur une période de cinq ans afin de leur permettre d’y étudier et de se former au leadership dans les domaines du développement et du monde des affaires ; former des personnes capables de faire le lien entre les entreprises japonaises et africaines en leur offrant diverses opportunités.

Depuis son lancement en 2014, le programme n’a, en réalité, cessé de croître : les 156 premiers étudiants accueillis la première année ont ouvert la voie à un effort plus large de développement des ressources humaines. Fin 2024, la JICA et l’Association pour la coopération technique à l’étranger et les partenariats durables (AOTS) avaient déjà accueilli plus de 9 000 étudiants africains.

Perspectives pour la TICAD 9

Deux piliers majeurs de la TICAD 9 sont une coopération poussée avec la jeunesse et le renforcement des relations de collaboration entre le Japon et l’Afrique.

Kasahara Hiroaki, un jeune fonctionnaire de la JICA âgé de 26 ans, a récemment coordonné un échange en ligne entre les élèves du lycée commercial de Yokohama et ceux de l’Institut de formation des enseignants de Muhanga, au Rwanda. Cette rencontre, organisée par la ville de Yokohama et le Forum 2050 — une organisation à but non lucratif dédiée au développement durable et à la coopération régionale —, visait à renforcer les liens futurs entre le Japon et les pays africains.

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(Kasahara Hiroaki de la JICA évoquant l’engagement des jeunes lors d’un récent entretien/Photo : Moritz Brinkhoff)

Au-delà des initiatives en faveur de la jeunesse, Kasahara Hiroaki espère une implication plus large des communautés locales japonaises. Des villes comme Nagai, dans la préfecture de Yamagata, et Marumori, dans celle de Miyagi, ont déjà tissé des liens avec des partenaires africains à travers des échanges culturels et agricoles. Il estime que ces connexions locales peuvent renforcer l’impact à long terme de la TICAD et être mutuellement bénéfiques.

Kasahara Hiroaki a également indiqué que la JICA avait organisé un camp jeunesse en mai, réunissant près de 300 élèves du lycée Sapporo Kaisei, des participants africains aux programmes de la JICA, ainsi que des Africains résidant à Hokkaido. Cet événement a permis aux participants japonais d’en apprendre davantage sur l’Afrique, tandis que les participants africains ont eu l’occasion de mieux comprendre le fonctionnement des écoles japonaises et les idées et points de vue des élèves japonais.

Toujours au-delà des initiatives portant sur la question de la jeunesse, Kasahara Hiroaki espère voir les communautés japonaises s’investir davantage. Des villes comme Nagai et Marumori, pour reprendre ces deux exemples, ont ainsi noué des liens avec la Tanzanie et la Zambie respectivement après avoir accueilli leurs équipes nationales pendant les Jeux olympiques de Tokyo 2020. Le jeune homme est convaincu que ces liens peuvent renforcer l’impact durable de la TICAD et profiter à toutes les parties en présence.

Kasahara Hiroaki, qui a étudié la TICAD pendant ses études universitaires, et plus particulièrement dans le cadre de son doctorat, fait désormais partie des plus jeunes agents de la JICA impliqués dans son organisation : « Je suis heureux, cette fois-ci, d’être du côté des organisateurs », confie-t-il, en exprimant notamment le souhait que « la TICAD soit une opportunité tournée vers l’avenir ».

Il ajoute : « Mon implication dans la TICAD est passée d’une perspective académique durant mes études à une implication concrète et professionnelle aujourd’hui. Grâce à cette transition, mon regard a changé, et je souhaite que la TICAD 9 soit l’occasion de proposer des idées pour améliorer les choses. »