De l’aide à l’autonomisation : comment les cantines scolaires et une application mobile transforment la nutrition en Afrique

Tanaka Chisato
Édition de la version française : Jérôme Pace

photo

(Des parents servent le déjeuner aux élèves de l’école primaire d’Ankadindambo, dans la région d’Analamanga, à Madagascar, avril 2021/Photo : Minami Mayu)

Série : L’Afrique en ligne de mire
À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce cinquième épisode traite de l’aide alimentaire et de la nutrition.

Alors que les écoliers de nombreux pays sont confrontés à une augmentation de l'obésité, d'innombrables enfants à Madagascar passent leurs journées d’école le ventre vide, l’esprit ralenti par la faim.
Selon le Global Nutrition Report, près de 40 % des enfants de moins de cinq ans souffrent, dans cette nation insulaire située au large de la côte est de l’Afrique, d’un retard de croissance dû à la malnutrition chronique.

Depuis des années, des organisations à but non lucratif tentent d’alléger ce fardeau en fournissant des repas scolaires gratuits. Mais ces programmes sont souvent temporaires et de courte durée. Une fois les financements épuisés, les repas cessent et les enfants se retrouvent à nouveau à l’école le ventre vide.

En 2016, l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a décidé d’essayer une approche différente : et si, au lieu de dépendre de l’aide extérieure, les communautés locales elles-mêmes pouvaient nourrir leurs enfants ?

Plutôt que de s’appuyer sur une assistance financière à court terme, la JICA a ainsi lancé un projet de cantines scolaires qui, dirigé par des comités de gestion scolaire, vise à renverser le modèle conventionnel de l’aide humanitaire et à encourager les communautés locales à prendre l’initiative de créer un système de repas scolaires durable.

Le procédé mis en place est simple : chaque école organise son programme de repas en fonction de ses propres besoins. Les parents, les enseignants et l’ensemble des membres de la communauté touchée par le programme se réunissent pour décider qui peut contribuer et comment. Certains parents apportent des légumes de leur jardin. D’autres, qui n’ont pas de nourriture à offrir, donnent de leur temps pour préparer les repas.

Les enfants apportent également parfois une petite quantité de riz ou un peu d’argent. Au début de chaque trimestre, le riz est collecté puis vendu à un prix équitable sur le marché. Les recettes servent à acheter d’autres ingrédients nécessaires. Pour économiser du temps et du combustible, les écoles préparent souvent des plats uniques comme des ragoûts.

photo

(Des parents préparent les repas pour les élèves de l’école primaire d’Ankadindambo, dans la région d’Analamanga, à Madagascar, avril 2021/Photo : Minami Mayu)

« Chaque école fait ce qui est réaliste pour elle », explique Saito Yukiko, directrice adjointe du projet et témoin privilégié de la vie sur place.

En effet, malgré leurs bonnes intentions, certaines aides étrangères peuvent parfois être insuffisantes, manquer de durabilité ou ne pas avoir d’impact durable sur les communautés locales : « Lorsque des écoles proposent des repas financés, les familles déménagent souvent dans ces zones », précise-t-elle. « Mais quand le soutien s’arrête, elles repartent. »

Ces mouvements peuvent entraîner une surpopulation scolaire dans certaines régions et des sous-effectifs dans d’autres. Ils peuvent aussi diviser les communautés et accentuer les inégalités entre les familles capables de se déplacer et celles qui ne le peuvent pas.

« Il est important de se demander si l’aide que nous apportons sur le terrain est réellement juste et équitable », souligne Saito Yukiko.

photo

(Saito Yukiko pose pour une photo avec des enseignants de l’école primaire d’Ambohimandroso, dans la région d’Analamanga, à Madagascar, avril 2021/Photo : Nirisoa)

Selon la directrice adjointe, le programme de cantines scolaires communautaires de la JICA s’est, près de huit ans après son lancement, étendu à plus de 1 800 écoles à travers Madagascar, 87% environ de celles suivies continuant à faire fonctionner leur programme de repas de manière autonome (généralement, seulement pendant les mois de l’année où la nourriture se fait rare). Certains comités scolaires ont même négocié directement avec des ONG pour obtenir un soutien supplémentaire.

Les repas restent toutefois souvent rudimentaires – du riz et une soupe de légumes la plupart du temps. Les protéines, elles, sont un luxe.

« Il est rare qu’il y ait de la viande dans leur soupe, alors nous ajoutons souvent des haricots à la place. Les enfants adorent la soupe aux haricots », révèle Saito Yukiko.

photo

(Des élèves déjeunent à l’école primaire de Belanitra, dans la région d’Analamanga, à Madagascar, février 2022/Photo : Saito Yukiko)

Les pénuries alimentaires restent une préoccupation majeure à Madagascar, en particulier pendant la saison creuse, de janvier à mars, lorsque les récoltes sont faibles. Le changement climatique aggrave la situation, notamment dans le sud du pays, sujet à la sécheresse. Les pluies sont imprévisibles. Les récoltes échouent. La faim revient.

Ces défis résonnent dans toute l’Afrique. Sur l’ensemble du continent, les communautés manquent de connaissances en matière de nutrition ou n’ont pas accès à une alimentation variée. Même lorsque les populations comprennent l’importance d’un régime équilibré, elles n’ont souvent pas les moyens d’acheter les ingrédients nécessaires.

Pour répondre à ces problèmes, la JICA s’est associée à l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA) afin de développer une application mobile qui relie les besoins nutritionnels à l’offre agricole.

Les agents de santé communautaires et les responsables administratifs en charge de la nutrition ou de l’agriculture utilisent cette application pour enregistrer les habitudes alimentaires des populations, puis partagent ces données avec les habitants qui, pour la plupart, sont des agriculteurs. L’idée est d’encourager les agriculteurs à cultiver les légumes les plus nécessaires à leur communauté.

L’application, appelée Nutrient-focused Food Access Improvement Approach App (ou application NFA), est en développement depuis 2015. Elle a été testée dans plusieurs pays, notamment en Zambie, au Sénégal, au Ghana et au Malawi, fin 2024, avec des essais sur le terrain prévus dans d’autres pays.

« Certains disent que c’est exactement l’application qu’ils attendaient », affirme Miura Saitaro, ancien chargé de programme impliqué dans le projet.

L’homme, qui a supervisé l’utilisation de l’application au Sénégal, a observé qu’il restait des marges d’amélioration, notamment pour simplifier la saisie des ingrédients, certains agents de santé locaux préférant encore prendre des notes sur papier plutôt que d’utiliser l’application. « C’est en partie une question d’habitude, mais l’application doit aussi être facile à utiliser », analyse-t-il.

À ce jour, l’application est disponible en anglais et en français, avec des versions en portugais et en arabe prévues dans un avenir proche.

Bien que les problèmes de nutrition puissent sembler éloignés du quotidien de pays plus riches, Saito Yukiko estime que les solutions communautaires offrent des leçons qui méritent d’être partagées : « Même si certaines choses sont impossibles à accomplir seul, travailler avec les personnes autour de soi peut permettre un changement de regard, et donc faire avancer les choses », conclut-elle.