Les activités de coexistence avec les réfugiés, essentielles pour une stabilité à long terme

Suvendrini Kakuchi
Édition de la version française : Jérôme Pace

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(Les agriculteurs présentent leur récolte avec Miyamoto Kisho au camp de Rhino/Photo : Miyamoto Kisho)

Série : L’Afrique en ligne de mire

À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce dixième épisode traite de l’aide alimentaire et de la politique de coexistence avec les réfugiés.

Mariah Chepkemoi, une formatrice ougandaise expérimentée de l’un des programmes d’aide aux moyens de subsistance des réfugiés du Japon en Afrique, incarne parfaitement l’esprit de collaboration inhérent au développement international. Son travail se concentre sur des initiatives agricoles destinées à offrir une stabilité économique aux communautés de réfugiés.

L’Ouganda, avec une population de 47 millions d’habitants, accueille plus de 1,8 million de réfugiés, principalement originaires du Soudan du Sud voisin et de la République démocratique du Congo. Reconnu pour avoir l’une des politiques les plus progressistes au monde en matière de réfugiés, le gouvernement ougandais accorde à ces derniers la liberté de circulation, le droit au travail et l’accès à l’éducation, encourageant activement leur intégration. Par conséquent, les réfugiés de deuxième et troisième génération parlent souvent couramment la langue locale.

Travaillant en tant qu’agent de suivi et d’évaluation, Mariah Chepkemoi dirige depuis 2017 un projet de formation « agriculteur à agriculteur », un programme phare qui soutient les petits cultivateurs. Cette initiative promeut l’adoption du NERICA (New Rice for Africa), un riz hybride à haut rendement et résistant à la sécheresse devenu un outil économique puissant pour les agriculteurs. Le prix de marché de cette culture est presque le double de celui des aliments de base ougandais, le manioc et le maïs, ce qui en fait une culture commerciale lucrative.

Le succès croissant du NERICA marque un tournant pour Eco-PRiDe, le projet japonais de promotion durable du riz lancé en 2024. Il s’appuie sur PRiDe I et II, deux initiatives menées dans le cadre d’un mémorandum de coopération entre la JICA et le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés et les personnes déplacées de force. Depuis 2014, ces programmes ont formé plus de 3 000 réfugiés et membres des communautés hôtes aux techniques améliorées de la culture du riz, renforçant ainsi la sécurité alimentaire et les revenus des ménages.

L’initiative Eco-PRiDe vise à consolider les acquis réalisés lors de PRiDe I et II au cours des cinq prochaines années.

Pour Mariah Chepkemoi, l’importance du programme souligne un aspect clé de l’aide humanitaire japonaise. Elle ne voit pas Eco-PRiDe uniquement comme un fournisseur de technologies agricoles et d’installations de stockage pour les réfugiés : « Il est tout aussi important de mettre l’accent sur la création de liens entre les réfugiés et les populations locales afin de favoriser une coexistence pacifique qui contribue à l’amélioration des moyens de subsistance. »

En effet, le modèle japonais d’assistance aux réfugiés met en avant à la fois les compétences agricoles et l’intégration communautaire, l’agriculture constituant une bouée de sauvetage pour les communautés confrontées à une acceptation difficile dans des situations de réinstallation prolongée.

Pour Miyamoto Kisho, conseiller principal d’Eco-PRiDe en Ouganda depuis plus de dix ans en tant qu’expert agricole de la JICA, les enjeux sont importants avec la hausse des populations réfugiées et les risques de pénurie alimentaire et de conflits fonciers. Ancien volontaire de la JICA en Ouganda, l’homme dirige aujourd’hui une équipe d’experts locaux, comprenant des formateurs comme Mariah Chepkemoi et des fonctionnaires, pour promouvoir des pratiques durables alliant technologie et développement social.

Les agriculteurs réfugiés reçoivent des semences de NERICA et un appui technologique, tandis que les natifs apprennent des méthodes de formation spécialisées qui facilitent la collaboration entre les propriétaires terriens et les réfugiés dépendant des propriétaires pour leurs cultures.

« Le riz NERICA est largement reconnu comme une source de revenus cruciale pour les agriculteurs réfugiés », déclare Miyamoto Kisho. « Notre programme a permis d’augmenter de 50 % leurs revenus ménagers et a bénéficié à toute la communauté. »

Mariah Chepkemoi se déplace beaucoup entre les camps de réfugiés, notamment Rhino Camp et Bidi Bidi dans la région de West Nile, où le riz NERICA de haute altitude prospère. La plupart des ménages réfugiés sont dirigés par des femmes seules ayant perdu leur partenaire dans le conflit, assumant ainsi le rôle de soutien de famille.

« Les femmes, dans leur trentaine ou quarantaine, sont les principales productrices de riz et sont déterminées à réussir », affirme la formatrice. Les résultats sont encourageants : les revenus issus du riz permettent aux femmes d’investir dans de petites entreprises comme des épiceries, et d’améliorer l’éducation et la santé de leurs enfants.

Les programmes ougandais de formation « agriculteur à agriculteur » sont devenus un modèle d’acceptation durable des réfugiés. Environ 70 % des agriculteurs réfugiés partagent les récoltes de riz NERICA avec les propriétaires terriens, d’autres participent à des systèmes d’épargne collaboratifs, ou encore prennent des responsabilités conjointes avec la communauté hôte, comme trouver du travail de traducteur de la langue locale pour d’autres réfugiés.

Mariah Chepkemoi note l’importance de faciliter les négociations entre réfugiés et propriétaires fonciers : « Notre soutien consiste aussi à aider les réfugiés à mener des négociations fluides avec les propriétaires, une priorité pour atteindre leur stabilité économique. »

Les nouveaux ménages réfugiés sont nombreux, comptant en moyenne 19 membres. Bien qu’ils reçoivent gratuitement de petites parcelles – généralement entre un quart d’acre et une acre – à cultiver, celles-ci sont souvent récupérées par les propriétaires après un an. Pour soutenir une autonomie à long terme, le bureau du Premier ministre de l’Ouganda négocie avec les propriétaires afin de sécuriser des terres pour une agriculture collective en blocs. Dans ce modèle, plusieurs petits agriculteurs cultivent des parcelles individuelles au sein d’une grande zone contiguë. Chaque agriculteur reçoit également environ trois kilogrammes de semences de NERICA et des engrais.

« Le riz NERICA est apprécié par un large éventail de consommateurs, des plus aisés aux agriculteurs ordinaires avec des moyens suffisants pour payer des prix plus élevés », révèle Miyamoto Kisho. « Les agriculteurs peuvent ainsi vendre toute leur récolte. »

Le conseiller, catégorique, insiste particulièrement sur le fait que le développement communautaire est la clé : « Bien que l’aide d’urgence aux déplacés soit importante, soutenir une approche collective réduit la peur et l’incertitude pour tous. »

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(Mariah Chepkemoi animant une formation sur le genre axée sur la lutte contre les discriminations sociales/Photo : Miyamoto Kisho)

Au-delà de l’agriculture, la JICA s’engage à renforcer la capacité des gouvernements locaux à gérer les défis complexes liés à l’accueil de grandes populations.

C’est l’objectif du Projet de renforcement de la résilience dans les districts accueillant des réfugiés et les districts affectés de la sous-région de West Nile (PROCEED), lancé en 2021. Ce projet vise à autonomiser les 12 gouvernements de district de la sous-région de West Nile en Ouganda afin de mieux soutenir et renforcer la résilience des communautés d’accueil et des réfugiés. La politique progressiste de l’Ouganda en matière de réfugiés, bien que reconnue comme la plus généreuse, fait face à des défis croissants. D’après le HCR, ceux-ci incluent une pression accrue sur les services publics, les terres et l’environnement, ainsi qu’une diminution du soutien financier alloué et un afflux accru de réfugiés.

L’un des projets pilotes de PROCEED consiste à collecter et analyser des données sur l’utilisation des services sociaux par les réfugiés, en particulier dans le cadre des établissements de santé et des écoles, ainsi que sur la sécurité alimentaire. Selon Mabuchi Yukiko, experte de la JICA pour PROCEED, ces données sont « essentielles pour que les gouvernements locaux visualisent l’impact des réfugiés et des étrangers sur les services sociaux locaux et la production alimentaire » et les aident à réclamer des financements supplémentaires et du soutien auprès du gouvernement central et d’autres bailleurs.

PROCEED a également introduit un nouveau modèle de planification pour les gouvernements locaux. Un second type de projet pilote a été mis en œuvre afin d’identifier des méthodes viables et reproductibles de planification conjointe entre les communautés hôtes et les réfugiés. Le résultat principal de ce projet pilote est un cadre de procédures et d’outils pour la planification conjointe, offrant aux réfugiés la possibilité de participer directement aux réunions de planification.

Dans ces forums, les réfugiés peuvent exprimer leurs besoins, en discuter avec les membres de la communauté d’accueil, et travailler avec eux pour définir les priorités et bâtir un consensus. Le système de planification conjointe développé par PROCEED garantit que les deux groupes ont voix au chapitre et que leurs besoins sont pris en compte dans le processus, favorisant ainsi une intégration plus profonde des réfugiés dans la société locale. Un réfugié ayant participé à l’une de ces manifestations a notamment déclaré : « C’est la toute première fois que je participe à une planification gouvernementale locale. Cela me fait me sentir chez moi. »

Les programmes pilotes de PROCEED ont permis de recueillir des enseignements précieux qui sont en train d’être compilés dans trois manuels complets. Ces guides pratiques destinés aux agents des gouvernements locaux ont pour objectif d’institutionnaliser et de pérenniser les leçons tirées des projets pilotes. D’après Mabuchi Yukiko, l’espoir est que ces manuels renforcent la capacité des gouvernements locaux à soutenir leurs communautés de manière plus inclusive et résiliente sur le long terme.

PROCEED met également l’accent sur la préparation inclusive aux catastrophes, essentielle compte tenu de la vulnérabilité croissante de la région aux inondations et aux sécheresses liées au changement climatique.

Le projet introduit l’agriculture intelligente face au climat pour aider les communautés à diversifier leurs moyens de subsistance et renforcer leur résilience. Cet effort a amélioré la communication, car les communautés hôtes et les réfugiés font désormais commerce de légumes et partagent leurs connaissances agricoles.

Pour préparer les communautés aux catastrophes naturelles, PROCEED a introduit une approche unique et innovante : des représentations théâtrales. Cette méthode a été spécialement conçue pour surmonter des problèmes tels que le faible taux d’alphabétisation et les barrières linguistiques entre les communautés d’accueil et les réfugiés. Des groupes communautaires composés à la fois de réfugiés et d’Ougandais ont ainsi reçu une formation d’art dramatique et jouent dans des écoles et des marchés locaux.

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(Des habitants assistent à une représentation théâtrale sur la préparation aux catastrophes organisée dans le cadre du projet pilote PROCEED/Photo : PROCEED)

Les saynètes jouées utilisent l’humour et des situations quotidiennes pour transmettre des connaissances clés sur la prévention et l’atténuation des catastrophes. Une approche par le rire qui permet que les messages essentiels soient facilement compris et appréciés de tous, quel que soit leur milieu. Cette expérience positive partagée favorise aussi la communication et renforce les liens entre les deux communautés.

Une troupe de théâtre composée de treize réfugiés et de deux Ougandais affirme que cette initiative a considérablement augmenté l’estime de soi des réfugiés. L’un de ses membres s’est exprimé fièrement à ce sujet : « Nous ne sommes pas seulement aidés, nous pouvons aussi aider les autres. »

Le projet PROCEED est un puissant exemple de la philosophie directrice de la JICA en action, démontrant comment le principe de sécurité humaine et de co-création de l’agence japonaise se met en pratique. Le projet inclut délibérément un large éventail de personnes – femmes, personnes âgées, personnes en situation de handicap, réfugiés et responsables gouvernementaux locaux – dans ses projets pilotes.

Selon Naganeo Kazuko, experte de la JICA pour PROCEED, cette approche inclusive est essentielle pour renforcer les communautés : « Les personnes en situation de vulnérabilité font souvent face à des risques plus graves et ont tendance à avoir besoin d’une période plus longue pour se remettre des impacts des catastrophes. »

Cette méthode collaborative est aussi une application directe du principe de co-création de la JICA. Elle favorise un sentiment vital de confiance et de compréhension entre les différents groupes. Naganeo Kazuko souligne que « se connaître personnellement est crucial pour vivre ensemble en paix, favoriser la compréhension mutuelle et résoudre les problèmes par des discussions ouvertes et honnêtes ».

En donnant la parole à des voix diverses, le projet permet aux communautés de développer ensemble des solutions, plutôt que de les recevoir en tant que bénéficiaires d’aide passifs. L’équipe d’experts de la JICA espère que ces communautés inclusives, bâties sur la confiance et une compréhension partagée, serviront de modèle pour d’autres.