Financer le développement de l’Afrique grâce aux obligations Afrique-TICAD

Aragaki Ken
Édition de la version française : Jérôme Pace

photo

(Asai Makoto, représentant senior du bureau de la JICA en Tanzanie, montre un champ de riz au pied du Kilimandjaro à un groupe de visiteurs japonais/Photo : Ogura Takeshi)

Série : L’Afrique en ligne de mire

À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce neuvième épisode porte sur le financement du développement de l’Afrique grâce aux « obligations TICAD ». Une initiative qui, favorisant la mobilisation de financements privés, accompagne les efforts du continent vers l’autonomie et une croissance durable.

Paul Wambugu, 45 ans, se souvient qu’enfant, il rendait visite à ses grands-parents et à sa famille dans la périphérie de Nakuru, une ville de la région de la vallée du Rift au Kenya, où ils vivaient sans électricité.

Les enfants ne jouaient qu’en journée. La plupart des magasins de la ville fermaient avant le coucher du soleil. Le soir, ses grands-parents lui racontaient des histoires au coin du feu avant qu’il ne s’endorme. Cependant, leur vie a changé lorsque la Kenya Electricity Generating Company, également connue sous le nom de KenGen, principale société publique de production d’électricité au Kenya, a commencé à construire des centrales géothermiques dans la région dans les années 1980.

« Aujourd’hui, c’est différent. Tout le monde a une télévision. Tout le monde a de l’électricité à la maison, de l’électricité au centre-ville », raconte Paul Wambugu, qui travaille désormais comme responsable des investissements chez KenGen.

photo

(Paul Wambugu, directeur des investissements chez KenGen, visite un dépôt de matériel d’un fournisseur au Kenya en 2023/Photo : Paul Wambugu)

À présent, le Kenya est en tête de la production d’énergie propre en Afrique. 90 % de l’électricité du pays provient des énergies renouvelables, dont la géothermie qui représente environ la moitié de sa production totale.

Les centrales géothermiques d’Olkaria, situées dans la vallée du Rift au-dessus d’une faille continentale active, génèrent la majeure partie de l’énergie géothermique du pays. KenGen possède et exploite quatre centrales ainsi que 14 unités de puits géothermiques dans la région.

La JICA, à travers sa coopération financière et en matière d’investissement, a joué un rôle essentiel dans la construction, l’entretien et la modernisation de ces centrales géothermiques. Grâce à ses investissements, l’agence a aidé le Kenya à devenir le sixième producteur mondial d’énergie géothermique.

Avec des prêts de la JICA, y compris ceux levés grâce aux premières obligations TICAD, KenGen a récemment ajouté quatre nouvelles centrales aux installations d’Olkaria, réhabilité d’anciennes unités, et construit de nouvelles lignes de transmission reliant Olkaria à d’autres régions du Kenya.

Selon Paul Wambugu, grâce à ces initiatives, les centrales ont augmenté leur capacité de production de 399 mégawatts – de quoi alimenter deux millions de foyers supplémentaires.

photo

(Centrale géothermique d’Olkaria I, unités 4 et 5/Photo : JICA)

D’après Koike Takahiro, directeur adjoint au département des finances de la JICA, les activités de l’agence reposent sur trois principaux volets : le financement et l’investissement (y compris les prêts de l’aide publique au développement, ou APD, ainsi que le financement des investissements du secteur privé), l’aide non remboursable et la coopération technique.

Grâce aux obligations émises par la JICA, l’agence lève des fonds auprès d’investisseurs privés et publics, pour la plupart basés au Japon, et fournit ensuite aux pays en développement des prêts concessionnels, à faible taux d’intérêt et à long terme.

Les premières « obligations TICAD » ont été lancées à l’occasion de la TICAD 7 à Yokohama, au Japon, en 2019, avec une émission de 12 milliards de yens destinée à renforcer la coopération avec les pays africains. Depuis, l’agence émet chaque année des obligations thématiques afin de répondre aux défis sociaux et de durabilité les plus urgents. Parmi les initiatives passées figurent les « obligations sociales pour la riposte au COVID-19 » (2020), les « obligations genre » (2021) et les « obligations pour la consolidation de la paix » (2022).

Pour sa deuxième émission d’« obligations TICAD » cette année, la JICA a levé 23 milliards de yens auprès d’investisseurs tels que des banques privées, des entreprises et des établissements d’enseignement, contribuant ainsi à mobiliser des financements privés et à soutenir l’Afrique dans sa volonté d’autonomie et de croissance durable.

photo

(Koike Takahiro, directeur adjoint du département financier de la JICA, au premier plan à gauche avec son sac à dos, en visite dans la région du Kilimandjaro en Tanzanie pour observer un projet agricole en 2025/Photo : JICA)

L’énergie n’est pas le seul secteur où la coopération financière et en matière d’investissement de la JICA a eu un impact significatif en Afrique.

Selon Koike Takahiro, les premières obligations TICAD ont soutenu 26 projets dans 16 pays africains. Au-delà de l’initiative géothermique au Kenya, ces projets comprenaient le développement de l’irrigation en Tanzanie, la construction d’un nouveau pont en Ouganda, et le partenariat éducatif Égypte-Japon, pour lequel la JICA a financé la construction d’écoles Égypte-Japon (EJS) ainsi que la réhabilitation d’écoles existantes en Égypte. Établies grâce à un partenariat Égypte-Japon pour l’éducation (EJEP), les écoles Égypte-Japon sont un réseau d'établissements scolaires conçus pour cultiver chez les élèves le sens des responsabilités sociales et la capacité à résoudre des problèmes, à travers un apprentissage pratique et collaboratif.

En plus du secteur de l’énergie (hors centrales thermiques au charbon), le « Cadre des obligations sociales/de durabilité de la JICA » définit les projets éligibles dans 14 autres domaines, notamment l’éducation, la santé et la consolidation de la paix.

Dans le domaine de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche, la JICA a soutenu des installations de production agricole et des systèmes d’irrigation dans divers pays africains.

photo

(Projet de développement de l’irrigation à petite échelle en Tanzanie, 2015/Photo : JICA)

En Tanzanie, la JICA possède une longue expérience dans le soutien au développement agricole et à l’irrigation.

D’après Asai Makoto, représentant senior du bureau de la JICA en Tanzanie et auteur de Kilimandjaro et les vagues de tiges de riz : un demi-siècle de production rizicole en Tanzanie, l’implication du Japon dans le développement de la riziculture en Tanzanie remonte aux années 1970.

Cette implication s’est accélérée après que le Japon se soit engagé à renforcer la production alimentaire en Afrique via la riziculture lors de la TICAD 4 en 2008, également organisée à Yokohama.

Grâce à ses programmes de prêts d’APD, la JICA a mis en œuvre une variété de projets agricoles et d’infrastructures, y compris le Small Scale Irrigation Development Project, lancé en 2013 et financé par les obligations TICAD.

Selon Asai Makoto, la superficie totale des terres irriguées pour le riz et d’autres cultures en Tanzanie a plus que doublé entre les exercices financiers 2007-2008 et 2020-2021.

D’après les dernières données de la « Food and Agriculture Organization » des Nations unies, publiées dans le Food Outlook de juin 2025, la Tanzanie est désormais le quatrième producteur de riz d’Afrique, exportant sa culture vers ses pays voisins, dont le Burundi, le Kenya et l’Ouganda.

Lors du Norman E. Borlaug International Dialogue organisé l’an dernier par la World Food Prize Foundation aux États-Unis, la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan a présenté un programme ambitieux visant à atteindre l’autosuffisance alimentaire et à transformer le pays en une « réserve alimentaire pour la région ».

Asai Makoto est convaincu que l’agence a contribué à l’autosuffisance rizicole du pays, tout en reconnaissant qu’il est difficile de mesurer l’impact exact de la coopération à long terme de la JICA avec la Tanzanie.

« Je n’hésite pas à le dire : notre coopération a ouvert la voie à la croissance et à l’expansion de la production rizicole en Tanzanie », souligne le représentant senior.

Au Kenya, les effets indirects du développement via les obligations TICAD sont déjà visibles.

Le gouvernement kényan a déclaré Olkaria « zone économique spéciale » en février dernier et prévoit de construire un « KenGen Green Energy Park » pour attirer des industries en tirant parti des ressources géothermiques de la région.

La coopération financière et en matière d’investissement facilitée par les obligations JICA présente plusieurs avantages.

« En mobilisant des capitaux privés, nous pouvons soutenir des projets de développement plus importants et plus durables. Pour les investisseurs, les obligations JICA offrent une opportunité qui combine impact social et rendement stable », explique Koike Takahiro. « De plus, l’émission de ces obligations joue un rôle en connectant les investisseurs japonais aux pays en développement. »

L’intérêt pour les obligations JICA a augmenté régulièrement, le nombre d’engagements d’investissement ayant doublé, passant de 174 pour l’exercice 2020 à 361 pour l’exercice 2024.

Pour Paul Wambugu, l’impact va au-delà du financement. En plus de maintenir les prix de l’énergie bas grâce aux conditions de prêt favorables, KenGen doit se conformer aux normes de qualité et de sécurité plus strictes fixées par la JICA, ce qui a contribué à renforcer la capacité institutionnelle de l’entreprise.

De plus, il affirme que l’expérience de KenGen, associée à son historique de remboursement réussi, améliore sa capacité à obtenir des prêts d’autres institutions financières internationales, puisque bénéficiant de la solide réputation mondiale de la JICA : « Actuellement, si KenGen déclare vouloir réaliser un projet particulier, le fait d’avoir pu accéder à des financements de la JICA nous confère une très bonne réputation auprès des prêteurs internationaux. »