Aragaki Ken
Édition de la version française : Jérôme Pace
(Kawazoe Seiki, ingénieur expérimenté de West Japan Engineering Consultants Inc, assis tout à gauche, participe à une conférence à la centrale géothermique d’Olkaria, au Kenya, en 2024/Photo : Kyuden International)
Série : L’Afrique en ligne de mire
À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce treizième épisode traite de la création d’un pôle d’énergie verte en Afrique.
En 2017, arrivant du Kenya, Kevin Nyafwa découvre pour la première fois l’Université Doshisha, à Kyoto, en tant que l’un des 19 boursiers de l’African Business Education Initiative for Youth (Initiative ABE), un programme de master de deux ans sous l’égide de la Japan International Cooperation Agency (JICA) combinant études et stages.
Une expérience durant laquelle il cuisinera souvent du poulet avec du riz, frappé que chaque cuisinière de son dortoir soit toujours équipée d’un gaz propre et disponible en continu.
En effet, le jeune homme a grandi à Rarieda, une ville du comté de Siaya située à environ 400 kilomètres au nord-ouest de Nairobi. Il se souvient que sa mère rassemblait du bois de chauffage pour cuisiner les repas, ainsi que des difficultés que cela impliquait.
« Encore maintenant, l’accès aux technologies de cuisson propres reste l’un des plus grands défis du Kenya. Ainsi, autant vous préparez votre repas pour améliorer votre santé, autant ce processus vous expose à de nombreux problèmes de santé », explique-t-il.
Le contraste entre ses expériences au Kenya et au Japon l’incite à rejoindre le bureau de la JICA au Kenya en 2021, où il travaille désormais sur des projets et des stratégies d’énergie verte.
(Kevin Nyafwa, deuxième en partant de la gauche, participe à un programme d’été à l’Institut de technologie de Kyoto en 2019/Photo : Kevin Nyafwa)
Aujourd’hui, en tant que responsable de programme pour l’énergie et la stratégie régionale d’industrialisation verte, le jeune homme fait avancer les efforts de la JICA pour établir le Northern Economic Corridor comme un pôle clé d’énergie verte.
Ce corridor, qui relie le port de Mombasa au Kenya à d’autres pays d’Afrique de l’Est, tels que l’Ouganda enclavé, le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo, stimule la croissance verte régionale.
Depuis que la JICA a élaboré le Master Plan du Northern Corridor en 2017, à la demande des gouvernements kényan et ougandais, elle soutient localement à la fois les infrastructures « matérielles », comme les routes et les ports, et les aspects « immatériels » tels que les cadres institutionnels et le développement des ressources humaines.
Pour construire une économie verte et un pôle énergétique, Kevin Nyafwa insiste sur l’importance des partenariats public-privé (PPP), parallèlement à la coopération intergouvernementale traditionnelle : « Plus que jamais, le gouvernement kényan considère le partenariat public-privé comme une alternative sérieuse pour la réalisation de projets. »
Ainsi que l’évoque Wada Akira, directeur général de CFAO Kenya (Corporation For Africa and Overseas), une filiale du groupe Toyota Tsusho Corporation, un exemple de partenariat est notamment l’introduction de grues économes en carburant importées du Japon au port de Mombasa.
(Wada Akira, directeur général de CFAO Kenya/Photo : CFAO)
En effet, l’Autorité portuaire kényane (Kenya Ports Authority, KPA), opérée par l’État, signe en 2017, dans le cadre du programme de prêt STEP (Special Terms for Economic Partnership) de la JICA – une action conçue pour promouvoir l’exportation d’infrastructures japonaises de haute qualité –, un contrat pour l’achat de 16 grues auprès de Toyota Tsusho.
Fabriqués par Mitsui E&S Co., Ltd (anciennement Mitsui Engineering & Shipbuilding Co.), ces dernières comprenaient entre autres 12 grues Rubber Tyred Gantry (RTG) qui, alimentées par un système hybride, améliorent l’efficacité énergétique jusqu’à 50 % tout en réduisant les émissions de dioxyde de carbone.
Cette initiative fait partie de la politique « Green Port » du port de Mombasa. Elle vise à renforcer sa durabilité en adoptant des équipements de manutention de cargaisons respectueux de l’environnement et des énergies renouvelables.
« Pour soutenir la vision du “corridor vert” de la JICA, nous cherchons des moyens de collaborer sur des infrastructures écologiques dans leur globalité, pas seulement sur des parties isolées », précise Wada Akira.
En plus des « infrastructures vertes », le groupe CFAO se concentre également sur la mobilité, la santé et les biens de consommation en Afrique. Depuis 2022, il investit dans BasiGo, une start-up kényane de transport écologique qui fournit des bus électriques pour le transport public à Nairobi afin de réduire les émissions de dioxyde de carbone.
Selon BasiGo, le secteur des transports représente plus de 30 % des émissions de dioxyde de carbone en Afrique. Cependant, chaque bus électrique déployé à Nairobi permet de réduire de 50 tonnes les émissions annuelles de CO₂.
En collaboration avec CFAO, la start-up, fondée en 2021, vise à assembler localement 1 000 bus d’ici 2027, une démarche qui créera plus de 300 emplois verts dans la fabrication au Kenya. Le site web de BasiGo indique que leurs bus électriques sont « conçus pour le Kenya, fabriqués au Kenya, et alimentés par l’abondante énergie renouvelable du Kenya ». L’entreprise s’étend également au Rwanda.
Pour augmenter le nombre de véhicules électriques au Kenya, Wada Akira explique que son entreprise doit investir davantage dans des stations de recharge et de maintenance, un domaine dans lequel CFAO et la JICA pourraient potentiellement collaborer à l’avenir.
« Nous n’avons pas encore pu travailler avec la JICA sur des projets de véhicules électriques », poursuit Wada Akira. « Mais je comprends que la JICA a aussi l’intention d’investir dans le développement d’infrastructures vertes, y compris des stations de recharge pour véhicules électriques, de promouvoir davantage de véhicules électriques et peut-être d’adopter à l’avenir des voitures fonctionnant à l’hydrogène. »
Les infrastructures ne sont pas le seul domaine où les partenariats public-privé menés par la JICA ont eu un impact transformateur.
Kawazoe Seiki, ingénieur vétéran de West Japan Engineering Consultants Inc., filiale de Kyushu Electric Power Company, a contribué à un projet piloté par la JICA aux centrales géothermiques d’Olkaria, le plus grand fournisseur d’énergie renouvelable du Kenya.
Cette initiative pluriannuelle visait à former les ingénieurs locaux et à renforcer les opérations et la maintenance en utilisant les technologies IoT (Internet des objets) fournies par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel.
Entre 2020 et 2025, dans le cadre du « Projet de renforcement de la capacité d’exploitation et de maintenance des centrales géothermiques d’Olkaria utilisant la technologie IoT » de la JICA, Kawazoe Seiki dispense des formations en présentiel et à distance.
Puis, avec l’aide de son équipe, initialement contrainte de rester au Japon du fait de la pandémie de Covid-19, il réalise ensuite des formations pratiques au Kenya pour les ingénieurs de la Kenya Electricity Generating Company (KenGen), couvrant des compétences telles que la tenue des registres, l’analyse des performances et la planification de la maintenance.
« Au début, j’ai senti que les ingénieurs locaux étaient un peu méfiants vis-à-vis de cette nouvelle technologie, et c’était un peu gênant, car toutes les formations se déroulaient en ligne », se souvient-il, désormais à la retraite et consultant indépendant. « J’ai senti que nous avons progressivement gagné leur confiance avec le temps. Au fur et à mesure que nous échangions en face à face sur les problèmes techniques et les méthodes, ils sont devenus plus disposés à nous comprendre et à nous accepter. Cela m’a procuré une grande joie. »
À la fin du projet, Kawazoe Seiki et ses collègues préparent des supports de formation et identifient des formateurs potentiels au sein de KenGen pour poursuivre le renforcement des capacités en interne.
Grâce en partie au soutien à long terme de la JICA et à son insistance sur les partenariats, le Kenya est désormais reconnu comme un leader régional dans l’économie verte.
Le pays est le sixième plus grand producteur mondial d’énergie géothermique, et environ 90 % de son électricité provient de sources renouvelables telles que l’hydroélectricité et la géothermie. D’ici 2030, le Kenya a pour objectif d’atteindre 100 % d’énergie renouvelable.
« Si nous avons ce potentiel en énergies renouvelables, cela signifie que nous avons le potentiel de produire une énergie à très faible coût qui est adaptée à la production industrielle », détaille Joyce Kabui, responsable des énergies renouvelables et de l’industrialisation verte au bureau de l’envoyé spécial pour le changement climatique du Kenya.
(Deuxième à partir de la droite, Joyce Kabui, responsable des énergies renouvelables et de l’industrialisation verte au bureau de l’envoyé spécial pour le changement climatique du Kenya, s’exprime lors de l’Africa Investment Exchange à Nairobi, au Kenya, mars 2024/Photo : Joyce Kabui)
Sous la présidence kényane de William Ruto, l’Initiative africaine pour l’industrialisation verte (African Green Industrialisation Initiative, AGII) a été officiellement lancée lors de la COP28 (28e conférence des Nations unies sur le changement climatique) à Dubaï en 2023.
Ce cadre vise à accélérer l’industrialisation verte à travers le continent africain. L’objectif est simple : stimuler la croissance économique, créer des emplois et dynamiser le commerce grâce à des investissements à grande échelle dans les industries vertes.
Joyce Kabui souligne que le Kenya, en collaboration avec la JICA, développe un plan directeur africain pour l’industrialisation verte avec des stratégies régionales de mise en œuvre centrées sur l’énergie verte, le réseau logistique et les industries le long du Northern Corridor, afin de modéliser des voies pratiques de croissance verte en Afrique.
Kevin Nyafwa ajoute que bien que le plan directeur soit encore à un stade précoce, l’objectif est de positionner l’Afrique de l’Est comme un « pôle de croissance verte », avec les partenariats public-privé comme moteur, et de proposer un modèle concret de croissance économique verte que d’autres pays africains pourront suivre.
« Au cœur de ce concept se trouve ce que vous appelez la “cocréation” », conclut-il. « Ainsi, l’une des questions clés de notre plan directeur sera : “Comment pouvons-nous promouvoir des politiques d’investissement vert adéquates afin que les entreprises japonaises considèrent l’environnement comme stable et propice à l’investissement ?” Nous considérons en effet le secteur privé japonais comme un partenaire essentiel dans cette démarche. »
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