Aragaki Ken
Édition de la version française : Jérôme Pace
(Fuwa Naonobu, à gauche sur la scène, expert de la JICA en matière de renforcement de l’écosystème des start-up, présente le projet NINJA lors de l’AfricArena Grand Summit au Cap, Afrique du sud en 2021/Photo : Fuwa Naonobu)
Série : L’Afrique en ligne de mire
À l’occasion de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), la JICA publie une série d’articles explorant à la fois les défis et les opportunités de l’Afrique. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce septième épisode porte sur la manière dont l’Afrique et le Japon unissent leurs forces pour façonner un avenir commun grâce à l’entrepreneuriat.
Né et élevé dans une petite ferme à Simba, un village en périphérie de Nairobi, Samuel Munguti rêve, dans son enfance, de rejoindre le gouvernement kényan afin d’aider les petits agriculteurs comme ses parents.
En 2016, à l’âge de 36 ans, une partie de son rêve se réalise, mais d’une manière qu’il n’a pas envisagée.
En effet, ayant obtenu un Master en marketing et travaillé pendant près d’une décennie pour différentes multinationales telles que Coca-Cola et L’Oréal, le jeune homme choisit de retourner dans son village natal pour acheter une ferme et y cultiver des pastèques et des tomates.
Or, l’agriculteur se heurte à plusieurs problèmes, tels que des semences et produits agrochimiques contrefaits vendus par les « agrovets », les distributeurs locaux de produits agricoles au Kenya.
Son projet agricole échoue, et il finit par abandonner sa ferme en moins d’un an.
Conscients de la défaillance des chaînes d’approvisionnement agricoles du pays, Samuel Munguti et son épouse, Nancy Mutuku, cofondent alors Shamba Pride, une start-up agritech visant à mettre en relation les petits agriculteurs avec des distributeurs et des produits fiables.
Il témoigne : « J’ai vu une opportunité et je me suis dit : “Je peux vraiment améliorer beaucoup de choses et créer une entreprise.” »
(Samuel Munguti tenant une pastèque dans sa ferme à Simba, au Kenya, en 2016/Photo : Samuel Munguti)
Depuis sa création en 2016, l’application mobile de Shamba Pride a déjà connecté des dizaines de milliers de petits agriculteurs kényans à des « agrovets » certifiés, apportant ainsi une plus grande transparence dans la fixation des prix et la qualité des produits.
Cependant, après cinq ans, Samuel Munguti conclut que sa start-up a besoin de davantage d’efficacité et d’organisation. Un tournant concomitant de sa découverte de Project NINJA (Next Innovation with Japan) de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA).
Contrairement aux programmes d’aide traditionnels, Project NINJA offre un accompagnement sur mesure, conçu en fonction des besoins réels des entrepreneurs. Pour le cofondateur de Shamba Pride, il ne s’agissait pas seulement, à ce moment précis de son parcours professionnel, d’acquérir de nouvelles compétences, mais bien d’affiner son modèle économique, d’élargir sa vision et de débloquer des opportunités de financement avec une trajectoire précise qui lui permettrait de passer à l’échelle supérieure.
(Samuel Munguti, PDG de Shamba Pride et deuxième en partant de la gauche, assiste au NINJA Accelerator au Kenya en 2021/Photo : Samuel Munguti)
Project NINJA a été lancé en janvier 2020 pour soutenir des entrepreneurs comme Samuel Munguti et favoriser l’innovation commerciale dans les pays émergents. L’initiative vise à construire et à renforcer un écosystème de start-up où des entreprises innovantes peuvent être continuellement et indépendamment créées et développées.
Comme l’explique Fuwa Naonobu, expert de la JICA dans le renforcement des écosystèmes de start-up et membre fondateur de Project NINJA, le programme repose sur trois piliers clés : créer des cadres juridiques et politiques favorables aux start-up ; encourager des partenariats structurés entre les start-up locales, les entreprises japonaises et les investisseurs ; enfin, mettre en place des programmes d’incubation et d’accélération qui aident à transformer la technologie en entreprises viables et évolutives.
Ce qui fait la spécificité de Project NINJA, c’est son approche holistique – allant de la structuration de l’environnement politique à l’apport d’un soutien concret à la croissance des entreprises –, sa philosophie « local-first » plaçant les fondateurs africains aux commandes et leur donnant les moyens de définir eux-mêmes leur chemin vers la réussite.
Lors de l’exercice fiscal 2023, Project NINJA a soutenu 824 start-up dans les pays en développement du monde entier (ainsi, par exemple, une start-up de soins de santé en Indonésie, une entreprise fintech au Laos, une entreprise de café détenue par des femmes en Ouganda ou encore une start-up agritech au Nigeria). Toutefois, plus de 760 d’entre elles sont situées en Afrique.
Forts de leurs expériences de fondateurs de start-up au Japon et de terrain en Ouganda et en Éthiopie, Fuwa Naonobu et ses collègues de la JICA ont lancé Project NINJA avec une idée directrice claire : la population africaine, environ 1,4 milliard d’habitants, est la plus jeune du monde. Cet avantage démographique, combiné à une génération élevée à l’ère numérique, place le continent dans une position favorable pour adopter et développer rapidement de nouveaux services. Aujourd’hui basé au Nigeria, l’expert observe une demande réelle et évolutive de solutions portées par des start-up.
(Fuwa Naonobu prend la parole lors du Demo Day à Abuja, où les cinq finalistes nigérians présentent leurs projets devant un public composé de business angels, de sociétés de capital-risque et d’autres organismes et institutions de financement en 2022/Photo : Fuwa Naonobu)
Ayant été sélectionné pour la deuxième cohorte, ou session, du NINJA Accelerator au Kenya, Samuel Munguti a participé en 2021 à un programme intensif de formation de douze semaines auquel cinq start-up kényanes participaient.
Le PDG et cofondateur de Shamba Pride affirme que cette opportunité exceptionnelle l’a, en particulier via des ateliers sur les compétences pratiques pour les affaires (comment gérer ses finances, rédiger un pitch à l’intention d’investisseurs potentiels, etc.), aidé à améliorer et à développer son entreprise : « Après ce programme NINJA, nous avons enregistré une croissance significative du nombre d’agriculteurs, de distributeurs agroalimentaires ainsi que de nos revenus. »
Depuis la participation de l’entrepreneur au programme, son entreprise connaît une croissance annuelle de 20 % du nombre d’utilisateurs de son application : Shamba Pride emploie désormais 58 personnes et enregistre plus de 66 000 agriculteurs et 4 500 agrovets dans tout le pays. Dans la même perspective, le PDG a également levé 3,7 millions de dollars en financement pré-série A en 2024 et prévoit d’étendre son activité à d’autres pays voisins (notamment la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie).
Cependant, Project NINJA ne se limite pas à fournir aux entrepreneurs africains des compétences pratiques pour les affaires : il favorise également, à travers ses programmes, un esprit entrepreneurial et de leadership.
Blen Hailu, 35 ans, PDG et cofondatrice de Kabba Transport, une start-up technologique en Éthiopie, a également saisi l’opportunité qui lui a été présentée : au cours du NINJA Acceleration Programme de 2024, elle a notamment appris l’importance de mettre en place des systèmes de soutien et de planifier une croissance à long terme.
« Ce fut une expérience transformatrice qui non seulement a élevé notre entreprise, mais a également renforcé mon leadership en tant que cofondatrice », déclare la jeune femme.
(Blen Hailu, à droite sur la photo, et son frère Leul, cofondateurs de Kabba Transport, posent ensemble pour une photo en 2021/Photo : Blen Hailu)
C’est après une décennie passée à travailler à la Commercial Bank of Ethiopia, que l'entrepreneuse a quitté son poste pour cofonder en 2021 Kabba Transport avec son frère cadet, Leul Hailu, et son ami, Nahom Mekonen, âgés aujourd’hui de 27 ans tous les deux.
L’entreprise vise à améliorer le transport local à Addis-Abeba en offrant des trajets sûrs et fiables à ses clients, y compris les écoliers et les employés d’entreprise. Le tout grâce à son application et une flotte de vans et de minibus.
Pour développer et faire évoluer l’entreprise, Blen Hailu a participé à un programme d’accélération NINJA de trois mois qui combinait formation en présentiel et en ligne, mentorat personnalisé, préparation de pitchs et apprentissage entre pairs avec d’autres entrepreneurs éthiopiens.
Après avoir terminé le programme, elle s’est immédiatement fixé un objectif ambitieux : augmenter le nombre d’utilisateurs de l’application de 1 000 à 30 000 d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, elle et son équipe présentent activement leur projet à des investisseurs potentiels et sont sur le point d’obtenir des financements.
La cofondatrice de Kabba Transport a également souligné la valeur des connexions établies avec les six autres participants du programme (trois femmes et trois hommes). Mettant en avant l’importance de construire des systèmes de soutien solides pour les dirigeants d’entreprise, en particulier pour les femmes entrepreneures, elle continue d’ailleurs de rencontrer régulièrement les participantes du programme afin de partager les difficultés rencontrées tout au long de leurs parcours respectifs, mais également d’échanger des idées d’affaires.
Selon le « 2024 African Tech Startups Funding Report » publié par Disrupt Africa, 18,5 % des start-up technologiques africaines financées en 2024 comptaient au moins une cofondatrice, tandis que seulement 12,5 % étaient dirigées par des femmes PDG. Ces chiffres montrent qu’il reste encore beaucoup à faire pour combler l’écart entre les sexes dans l’écosystème des start-up du continent.
Au-delà du financement ou des ateliers, Fuwa Naonobu estime que la véritable force de Project NINJA réside dans le soutien mutuel entre entrepreneurs, les participants partageant les leçons durement acquises, et leurs pairs les transmettant à leur tour : « Je recherche une émulation », dit-il, « une petite victoire, largement partagée, peut créer une dynamique dans l’ensemble de l’écosystème. »
Avec la TICAD 9, Project NINJA montre que le véritable changement se produit lorsque les gouvernements et les entrepreneurs locaux travaillent ensemble. L’idée est simple : stimuler la croissance économique et avoir un impact significatif et durable dans la vie des populations.
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