Nithin Coca
Édition de la version française : Jérôme Pace
(Membres de la JICA, de l’Agence de développement de l’Union africaine [AUDA-NEPAD] et du Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine [ZLECAf] devant le pont de Kazungula, près du poste-frontière unique de Kazungula entre la Zambie et le Botswana/Photo : AUDA-NEPAD)
Série : L’Afrique en ligne de mire
À l’approche de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), organisée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, au Japon, la JICA partage une série de récits explorant les défis et les promesses du continent africain. Une série dont l’objectif est de mettre en lumière la mission de la JICA, tout en rendant hommage aux efforts, idées et potentiels locaux. Ce onzième épisode se concentre sur le commerce et le développement économique.
Le rôle du Japon en tant que partenaire de développement remonte à plus de six décennies, débutant avec la création de l’Agence de coopération technique à l’étranger (OTCA) en 1962. À cette époque, l’accent était mis sur les pays asiatiques voisins, comme l’Indonésie.
Aujourd’hui, la JICA, successeur de l’OTCA, est reconnue comme l’une des organisations de développement les plus innovantes et efficaces au monde, avec des projets s’étendant sur l’ensemble du globe. Au cours de la dernière décennie, elle a forgé un partenariat unique avec l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD).
« Il y a une demande croissante au sein de l’AUDA-NEPAD pour comprendre la trajectoire de développement de l’Asie du Sud-Est et le rôle du Japon dans celle-ci. Nous pensons que ces connaissances et cette expérience peuvent servir de référence précieuse à nos partenaires en Afrique », explique Homma Toru, conseiller principal à la JICA.
La comparaison entre l’Asie du Sud-Est et l’Afrique est convaincante, bien que les défis auxquels cette dernière doive faire face s’inscrivent à une échelle bien plus vaste. En effet, l’ASEAN, le bloc régional d’Asie du Sud-Est, ne compte que 11 pays membres quand l’Union africaine en réunit 55 au travers d’un continent trois fois plus grand que l’Europe, et dont les cultures, les infrastructures et les niveaux de développement économique peuvent apparaître très différents.
L’un des plus grands défis de l’Afrique est le commerce régional limité et l’intégration régionale. Une mauvaise connectivité et des coûts logistiques élevés freinent ainsi souvent les investissements et ralentissent le développement des entreprises africaines. Pour la JICA, c’est précisément là que son expertise peut faire la différence.
« Parce que l’Afrique est immense, une approche par corridors est très importante », précise Homma Toru. « Cela signifie relier les pays, en particulier ceux enclavés, par le développement d’infrastructures vers des ports ou de grands marchés. »
Cette réflexion nourrit les bases d’un modèle de coopération entièrement nouveau. Un modèle conçu non seulement pour bénéficier au continent africain, mais aussi pour créer des opportunités commerciales et d’investissement pour les entreprises japonaises à l’avenir : « Rien n’est fait uniquement pour le bénéfice de l’Afrique, cela profite toujours aux deux parties », déclare Amine Idriss Adoum, directeur de l’économie, des infrastructures, de l’industrialisation, du commerce et de l’intégration régionale à l’AUDA-NEPAD. « À mesure que les entreprises japonaises s’implantent davantage en Afrique, il y a de fortes chances que les exportations japonaises vers l’Afrique augmentent aussi. »
(Une démonstration Kaizen en Éthiopie. L’Initiative Kaizen pour l’Afrique aide les entreprises africaines à améliorer continuellement leur qualité et leur productivité/Photo : JICA)
La collaboration entre la JICA et l’AUDA-NEPAD
En 2014, la JICA et l’AUDA-NEPAD lancent un partenariat innovant, sans précédent dans l’histoire de la JICA : car si l’agence japonaise, traditionnellement, travaille bilatéralement avec chacun des pays dont elle devient le partenaire, elle adopte, en Afrique, une approche continentale visant à bâtir un partenariat durable et égalitaire.
« Nous sommes pleinement intégrés au siège de l’AUDA-NEPAD, la seule organisation qui compte cinq conseillers en poste », détaille Homma Toru.
Parallèlement, l’AUDA-NEPAD adopte en 2015 l’Agenda 2063, une feuille de route ambitieuse pour l’avenir du continent africain, couvrant les infrastructures, le commerce, l’agriculture et bien plus encore. Pour Amine Idriss Adoum, l’engagement de la JICA se démarque de celui des autres partenaires de l’organisation : « Ils sont très constants et très prévisibles. Nous travaillons en étroite collaboration et notre coopération porte sur certains des domaines de développement les plus stratégiques pour l’Afrique. »
Cinq piliers définissent aujourd’hui cette collaboration : l’intégration régionale, l’Initiative Kaizen pour l’Afrique, l’Initiative pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique, le programme Home Grown Solutions Accelerator, et le Policy Bridge Tank. Derrière l’ensemble de ces actions se cache un certain nombre de projets tels que celui du poste-frontière unique, qui simplifie le commerce transfrontalier et réduit les délais.
Ce changement n’a pas été facile, reconnaît Homma Toru : « Nous avons dû penser à une vision plus globale, et peut-être que nous manquions de cette connaissance (au début), mais nous avons beaucoup appris à penser à l’échelle continentale. »
L’une des initiatives les plus importantes mises en place est sans conteste celle du Kaizen pour l’Afrique, lancée en 2017. Le Kaizen, terme japonais signifiant « amélioration », est une philosophie de gestion basée sur de petits changements continus qui améliorent la qualité et la productivité. En Afrique, elle a été adaptée aux différents contextes culturels et économiques, aidant les petites et moyennes entreprises à surmonter leurs inefficacités.
« L’approche Kaizen peut améliorer la qualité et la productivité sans nécessiter de gros investissements », indique Homma Toru. « Elle permet de cumuler de nombreuses petites améliorations. »
À ce jour, les programmes Kaizen touchent 41 pays africains. Ils ont permis de former 1 400 formateurs Kaizen et ont bénéficié à plus de 18 000 entreprises. Chaque pays (ou région) adapte le Kaizen à sa propre réalité, tandis que la JICA et l’AUDA-NEPAD créent des plateformes pour partager les enseignements au-delà des frontières.
(Une réunion tenue au poste-frontière unique de Kazungula en janvier 2025, à la frontière entre le Botswana et la Zambie/Photo : AUDA-NEPAD)
Faciliter l’intégration régionale
Un autre pilier essentiel du partenariat est l’intégration régionale, notamment à travers les Postes-frontières à guichet unique (PFGU).
« Avant l’arrivée de la JICA, nous ne disposions pas du cadre nécessaire pour accélérer et faciliter le commerce à travers le continent », se rappelle Amine Idriss Adoum. « Aujourd’hui, nous avons un outil très solide, bien conçu et largement consulté : le manuel du PFGU. »
D’après l’AUDA-NEPAD, les retards et les inefficacités aux frontières terrestres ont longtemps freiné le commerce africain. Le manuel du PFGU y répond en simplifiant les procédures, réduisant les coûts et rendant le passage des marchandises beaucoup plus fluide.
« Avec les PFGU, on va au-delà du simple contrôle frontalier, on éduque, on forme, on renforce les capacités, et on aide à remodeler le système économique », révèle Amine Idriss Adoum. « C’est une solution locale qui soutient réellement le développement des entreprises africaines sur place. »
Selon le directeur, les résultats sont concrets : des délais de transaction raccourcis, une logistique plus prévisible et une plus grande confiance des commerçants. L’impact a été si marqué qu’il écrit désormais un livre sur cette initiative : « C’est fascinant. Cela montre que lorsque la coopération au développement se concentre sur ce qui compte vraiment et que les partenaires vous écoutent, on peut obtenir des résultats très concrets sur le terrain. »
Pour l’Afrique, les enjeux sont importants. Le succès aux frontières peut aider à poser les bases d’un objectif bien plus ambitieux : la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui vise à libérer les bénéfices du commerce régional, à l’image de l’ASEAN ou de l’Union européenne.
(Le conseiller principal de la JICA, Homma Toru [tout à gauche], le directeur de l’économie, des infrastructures, de l’industrialisation, du commerce et de l’intégration régionale de l’AUDA-NEPAD, Amine Idriss Adoum [deuxième à partir de la gauche], la directrice générale de l’AUDA-NEPAD, Nardos Bekele-Thomas [au centre], ainsi que le vice-président principal de la JICA, Naoki Ando [troisième à partir de la droite], posent pour les photographes après le renouvellement du mémorandum de coopération entre l’AUDA-NEPAD et la JICA lors de la TICAD 9 à Yokohama, au Japon, en août 2025/Photo : JICA)
Dix ans et plus à venir
La TICAD 9, qui s’est tenue en août dernier à Yokohama, au Japon, a été l’occasion pour la JICA, l’AUDA-NEPAD et leurs partenaires de faire le point et de planifier l’avenir.
« Notre objectif principal était essentiellement de démontrer que cette coopération, entre la JICA et nos partenaires africains et japonais, fonctionne et porte ses fruits », résume Amine Idriss Adoum.
Lors de la conférence, plus de trois cents nouveaux accords de coopération ont été signés, y compris un cinquième mémorandum de coopération entre la JICA et l’AUDA-NEPAD. Cet accord étend leur collaboration à 12 nouveaux sous-thèmes, tous alignés sur l’Agenda 2063.
Le président de la JICA, Tanaka Akihiko, s’est notamment exprimé en ces termes : « Il est crucial d’approfondir la coopération au sein de la communauté internationale. Nous voulons travailler aux côtés de l’Afrique alors qu’elle émerge comme un phare d’innovation et de résilience qui stimule la croissance mondiale. »
Pour Amine Idriss Adoum, ce partenariat n’est pas seulement un succès. Il considère la JICA et l’AUDA-NEPAD comme un modèle où l’Afrique peut montrer au monde une voie à suivre : « Lorsque nous construisons une coopération plus forte, cela signifie que nous pouvons trouver des solutions à certains des problèmes les plus urgents du monde. »
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