[La TICAD a 30 ans] Une coopération adaptée aux besoins en constante évolution du monde contemporain, dans le respect de l'appropriation de l'Afrique : Entretien avec M. Yanase Naoki, directeur général du département Afrique de la JICA
2023.11.29
« La TICAD a 30 ans » est une série d'articles qui passe en revue les initiatives de la JICA et se projette dans l'avenir avec l'Afrique à l'occasion du 30e anniversaire de la TICAD (Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique). À l'issue des discussions menées dans le cadre de la TICAD, la coopération de la JICA s'est appuyée sur les trois piliers suivants : i) une coopération centrée sur l’être humain, ii) l'appropriation et la co-création par l'Afrique, et iii) la mise à profit de l'expérience japonaise pour relever les défis et répondre aux besoins de l'Afrique. Dans cet article, M. Yanase Naoki, directeur général du département Afrique de la JICA, évoque l'évolution et l'avenir de la coopération de la JICA dans les domaines de « la paix et de la stabilité », de « la collaboration avec le secteur privé et du développement des ressources humaines », ainsi que de « l'intégration régionale et de la coopération en Afrique », en partageant sa propre expérience de l'Afrique.
――L'un des principaux thèmes de la TICAD est « la paix et la stabilité ». Comment la JICA a-t-elle œuvré en faveur de la paix et de la stabilité dans les pays africains ?
YANASE NAOKI : Nous sommes confrontés à des défis multiples qui perturbent la paix et la stabilité et menacent gravement la vie des populations en Afrique ; les épidémies de maladies infectieuses, les catastrophes naturelles de grande ampleur, la détérioration de l'environnement et les conflits provoqués par le réchauffement climatique. Ils deviennent de plus en plus complexes et dépassent les frontières nationales. Les pays et les institutions internationales doivent donc travailler ensemble pour surmonter ces défis, car aucun pays ne peut à lui seul résoudre ces problèmes. Partant de ce constat, le concept de « sécurité humaine » a été proposé pour protéger la vie et la dignité de chaque être humain.
Cette idée a été défendue en particulier par Mme OGATA Sadako. Lorsqu'elle est devenue présidente de la JICA en 2003, elle a créé le département Afrique. Elle considérait en effet que l'Afrique comptait le plus grand nombre de personnes confrontées à diverses difficultés et que la JICA se devait donc de promouvoir la sécurité humaine sur ce continent. Au début des années 2000, l'importance de la sécurité humaine a été mise en évidence et le concept demeure aujourd'hui encore au cœur des préoccupations des partenaires de la TICAD.
M. Yanase se souvient des efforts qu'il a déployés pour renforcer le soutien à l'Afrique à l'époque où Mme Ogata a commencé sa carrière en tant que présidente de la JICA.
――Pouvez-vous nous parler des mesures prises par la JICA pour réaliser des progrès concrets dans la mise en place de la sécurité humaine en Afrique ?
M. YANASE : En clair, l'initiative en faveur de la sécurité humaine consiste à adopter à la fois une approche descendante et une approche ascendante. L'approche descendante vise à améliorer la capacité des gouvernements à protéger les droits et les libertés des personnes, en se concentrant sur les individus et les communautés, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables. D'autre part, l'approche ascendante a pour objectif de donner aux personnes et aux communautés les moyens de s'engager elles-mêmes dans le développement.
La reconstruction et la coopération au développement en Sierra Leone, en Afrique de l'Ouest, en sont un exemple. Pour « combler le fossé (entre l'aide humanitaire d'urgence et la reconstruction et la coopération au développement) », ce qui avait été suggéré par Mme Ogata, la JICA s'est engagée dans ses projets alors que la force de maintien de la paix des Nations unies était encore en cours de déploiement. Afin de construire une société exempte de conflits récurrents, la JICA a œuvré au renforcement des capacités des fonctionnaires locaux en qui la population peut avoir confiance, tout en améliorant simultanément l'auto-gestion des communautés villageoises. La population locale a débattu, de manière concertée, des besoins en services administratifs à proposer au gouvernement local, avec le soutien de la JICA. Lorsque j'étais en poste au bureau de la JICA au Ghana, j'étais responsable de cette initiative en Sierra Leone. J'ai eu un aperçu de la concrétisation de la sécurité humaine dans ce projet qui permet de créer des communautés au sein desquelles le gouvernement local et la population collaborent.
La JICA travaille actuellement avec des organisations internationales dans la région du Sahel, où de nombreuses personnes souffrent de la pauvreté et des conflits, afin de construire une société stable sans conflits ni récidives. Avec cette approche, qui a été développée en Sierra Leone et dans d'autres pays, la JICA contribue à restaurer la confiance de la population locale envers le gouvernement et à construire une société résiliente. Nous continuerons à assurer la coopération en totale adéquation avec les besoins, en nous appuyant sur les connaissances et l'expérience que nous avons accumulées jusqu'à présent.
Le personnel local et l'expert japonais (au centre) discutent des plans de développement visant à améliorer les moyens de subsistance de la population locale dans une région déchirée par la guerre civile et à renforcer le système de gouvernement local. Photo : IIZUKA Akio/ JICA, 2012.
――Le thème principal de la TICAD est désormais passé de la réduction de la pauvreté à l'augmentation des investissements en Afrique et aux partenariats avec le secteur privé. Comment la coopération de la JICA en Afrique dans le secteur industriel et commercial a-t-elle évolué au fil du temps ?
M. YANASE : Dans les années 2000, l'Afrique a amorcé sa croissance économique et de nombreux pays africains ont fait de la « réduction de la pauvreté par la croissance économique » un objectif de développement. En 2008, la JICA a inauguré un bureau de partenariat avec le secteur privé afin de soutenir le développement commercial des entreprises japonaises en Afrique et dans d'autres régions en développement. À l'époque, j'étais en poste au bureau de la JICA au Ghana et je soutenais SONY et Ajinomoto dans leurs activités en Afrique. Pourtant, je considérais que leur rôle s'apparentait davantage à des activités de responsabilité sociale des entreprises (RSE) plutôt qu'à du développement commercial.
En 2016, la TICAD 6 s'est tenue au Kenya, pour la première fois en Afrique, avec la participation de près de 3 000 chefs d'entreprise japonais. Une augmentation des investissements des entreprises japonaises en Afrique était alors attendue, dans le cadre d'un développement commercial à grande échelle. Toutefois, après avoir atteint un sommet à cette époque, le stock d'IDE (investissements directs étrangers) des entreprises japonaises en Afrique a commencé à diminuer. Il s'agit maintenant de déterminer le rôle que la JICA peut jouer en tant que catalyseur de l'expansion de l'investissement privé.
――Quelles sont les initiatives envisagées par la JICA pour développer l'investissement privé en Afrique à l’avenir ?
M. YANASE : Tout d'abord, nous devons développer les ressources humaines afin d'établir des liens entre les entreprises africaines et japonaises. En particulier, par le biais de l'initiative ABE (African Business Education Initiative for Youth) lancée lors de la TICAD 5, la JICA encourage le développement des ressources humaines dans l'industrie pour soutenir l'expansion des entreprises japonaises en Afrique.
Jusqu'à présent, la JICA a accueilli plus de 1 600 jeunes Africains et leur a offert non seulement la possibilité d'étudier dans des établissements d'enseignement supérieur japonais, mais aussi celle de travailler dans des entreprises japonaises afin d'acquérir des compétences commerciales par le biais de stages. Nombre de nos diplômés, dont certains sont employés par des entreprises japonaises, s'emploient à jeter des ponts entre le Japon et l'Afrique.
Nous avons également créé un groupe de réseautage social qui comprend des anciens participants à l'initiative ABE et des entrepreneurs privés, et qui compte actuellement plus de 1 000 membres. Nous voulons encourager les entreprises japonaises à se développer en Afrique en mettant en relation les anciens participants à l'initiative ABE et les entreprises japonaises.
M. Yanase avec d’anciens participants à l'initiative ABE. Ceux-ci lui ont expliqué qu'ils aimeraient travailler pour des entreprises japonaises, mais qu'ils se heurtaient à des difficultés liées au niveau élevé de langue japonaise exigé. Photo prise au Sénégal en juin 2023.
Une autre initiative consiste à soutenir les startups en Afrique, où la JICA a développé un programme appelé Projet NINJA (NextInnovation withJapan) depuis 2020 pour soutenir les jeunes entrepreneurs africains et les startups. Parmi eux, une startup ghanéenne qui a remporté un prix spécial dans le cadre d'un concours d'affaires visant 19 pays africains collabore désormais avec le groupe japonais Rakuten.
――La TICAD promeut la coopération avec l'Union africaine et les organisations connexes afin de stimuler le développement piloté par l'Afrique. Quel type de coopération la JICA a-t-elle encouragé dans ce processus ?
M. YANASE : Lorsque j'ai pris mes fonctions de directeur général du département Afrique en octobre 2022 et que j'ai considéré l'Afrique dans sa globalité, j'ai réaffirmé la nécessité de renforcer les relations avec l'Union africaine et les autres partenaires régionaux en Afrique, ce dont je n'avais pas vraiment conscience lorsque j'étais en poste dans les bureaux nationaux du Ghana et du Mozambique. Le continent africain est vaste et diversifié, avec plus de 50 pays. Alors que la population continue de croître rapidement, il est important qu'aucun pays ne soit laissé pour compte, afin que la société africaine dans son ensemble puisse se développer de manière égale et devenir stable.
En 2013, l'Union africaine a formulé l'Agenda 2063, une vision à long terme pour une croissance inclusive en Afrique. Pour soutenir la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), l'un des projets phares de l'Agenda 2063, la JICA promeut la facilitation du commerce et le développement des infrastructures transfrontalières. Comme l'Afrique compte de nombreux pays enclavés, il est important de renforcer la connectivité entre les pays pour que le continent puisse se développer pleinement au cours des prochaines décennies.
Actuellement, la JICA a envoyé un conseiller auprès de la direction générale et plusieurs experts japonais dans des domaines tels que l'intégration régionale et le Kaizen auprès de l'Agence de développement de l'Union africaine (AUDA-NEPAD), qui est chargée de la mise en œuvre de l'Agenda 2063, afin de soutenir la réalisation des objectifs de développement.
L'approche de la JICA en matière de coopération en Afrique est de co-créer avec l'Afrique, en respectant ses idées et son appropriation. La JICA fournit des conseils en tant que co-pilote pour aider les Africains qui sont aux commandes à promouvoir leurs efforts pour devenir autonomes et les accompagne pour trouver les moyens d'y parvenir.
M. Yanase indique qu'il se concentrera davantage sur la collaboration avec l'Union africaine, qui vise à promouvoir l'intégration politique et économique en Afrique.
――Parlez-nous du défi que représente pour la JICA le renforcement des relations avec l'Afrique, en tant que « partenaire qui grandit avec l'Afrique », et la préparation de la TICAD 9 qui se tiendra à Yokohama en 2025.
M. YANASE : Le Japon est loin de pouvoir résoudre à lui seul les problèmes de l'Afrique. Dans le cadre de l'objectif « Energize Africa », l'AUDA-NEPAD se concentre sur l'éducation et l'emploi, en particulier pour la jeune génération, afin de réaliser l'Agenda 2063. Il est également essentiel de collaborer avec des entreprises privées disposant d'une excellente technologie numérique afin de fournir un soutien efficace par le biais de la DX (transformation numérique).
En outre, le programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) nécessite un financement annuel de 130 à 170 milliards USD, mais près de la moitié de cette somme n'a pas encore été réunie. Nous pensons qu'il est de notre devoir de combler ce déficit de financement en impliquant le secteur privé dans le processus de la TICAD.
En mai 2023, j'ai visité trois pays africains. En République démocratique du Congo, j'ai participé à la célébration du 40e anniversaire d'un pont construit grâce à la coopération de la JICA. Il était incroyable que le pont soit si bien entretenu malgré les 40 années de guerre civile qui s'étaient écoulées. Les ingénieurs qui avaient participé à la construction du pont à l'époque ont transféré leurs compétences à la jeune génération congolaise, et leur savoir a été transmis de génération en génération. Le soutien de la JICA au développement des ressources humaines porte bel et bien ses fruits.
Chaque fois que je visite l'Afrique, je me sens toujours revigoré. Cela me rappelle le bonheur qui ne peut être mesuré par la seule richesse économique, la force des liens humains et la compassion pour les autres, autant de choses importantes que nous, Japonais, avons parfois oubliées. L'Afrique est forte de sa jeunesse et déborde de vitalité. Je suis déterminé à continuer de travailler sans relâche pour que l'avenir des jeunes Africains soit brillant et que l'Afrique et le Japon puissent être dynamisés en tant que « partenaires grandissant ensemble ».
M. Yanase avec des membres du personnel du bureau de la JICA en République démocratique du Congo. Photo prise en juin 2023.
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